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Critique de Arimbo




Je ne connaissais de François Cheng que le merveilleux poète, dont j'aime tant la sérénité, et dont je partage le sentiment, très taoïste, de l'unicité de l'Univers, des liens qui relient tout ce qui le constitue, objets inanimés et êtres vivants.

Une de mes proches m'a prêté ce livre qu'elle considère comme un chef-d'oeuvre.

Je sors de la lecture de ce dernier, à la fois bouleversé et émerveillé, avec un sentiment de plénitude incroyable.
Est-ce cela un chef-d'oeuvre littéraire? Un livre aux multiples facettes, qui vous emmène dans de multiples directions, qui vous inspire une infinité de réflexions, de sensations, qui vous fait voir l'être humain dans ce qu'il a de plus abject et dans ce qu'il a de plus beau, qui vous fait comprendre que, sans ces deux dimensions que sont l'Art et l'Amour, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
En tout cas, le dit de Tianyi, c'est tout cela.

Dans sa préface, François Cheng nous explique qu'il a connu Tianyi alors que celui-ci était à Paris au début des années 1950, et qu'il le retrouva bien plus tard, suite à une lettre que ce dernier lui avait écrite en 1982, enfermé en Chine dans un asile. Cette rencontre lui permit de recevoir, de la part de Tianyi, une pile considérable de feuillets, et surtout d'écouter et de noter, durant de nombreux jours, le récit, souvent décousu, de son extraordinaire vie. Revenu en France, et après une longue période d'une grave maladie, il entreprend d'en construire un récit en français.
Je ne peux m'empêcher de citer la fin de cette préface, un paragraphe admirable:
« Avant que tout ne soit perdu, avant que le siècle ne se termine (le livre est publié en 1998), quelqu'un, du fond de l'insondable argile, a tout de même réussi, par la seule vertu de la parole, à faire don des trésors amassés le long d'une vie «emplie de fureurs et de saveurs ».

C'est donc le récit d'une vie, recréé par le miracle de l'écriture de François Cheng, un récit poignant magnifié par une vision philosophique et poétique du monde.

Le récit est impeccablement construit en trois parties:

- d'abord « les années d'apprentissage », enfance, avec son lot de douleurs (mort de la petite soeur, mort du père), de tracas familiaux, mais aussi de joies, telle cette merveilleuse ascension du mont Lu avec son père, puis adolescence, éveil de sa vocation de peintre et surtout la découverte foudroyante à la fois de l'amour et l'amitié, par la rencontre de Yumei, « l'Amante » et de Huolang, « l'Ami ».
- et puis, le séjour à Paris juste après la deuxième guerre mondiale, Tianyi ayant bénéficié d'une bourse pour étudier la peinture en France, la rencontre de « l'art occidental », et l'amour de Véronique, la musicienne.
- et enfin, le retour précipité en Chine, suite à l'annonce par Yumei de la mort de Haolang, information qui se révélera plus tard comme erronée. Et l' interminable suite de souffrances liées au sort des intellectuels dans la Chine communiste ainsi qu'au suicide de Yumei. Mais les retrouvailles avec l'Ami, Haolang, dans un camp de « travail » en Sibérie., jusqu'à une fin tragique.

Mais surtout, le récit est, par delà les moments de souffrance et de cruauté insoutenables, d'une merveilleuse poésie et d'une intense profondeur psychologique et philosophique.

Dès le début, les descriptions de la nature, notamment des nuages, sont des merveilles. Tout au long de la narration, et même dans les conditions extrêmes de la Sibérie, le lecteur est transporté par la beauté de la nature: êtres vivants, arbres, rochers, ciels, par le rythme des jours et des saisons.

Et puis, l'analyse du comportement des êtres humains est d'une extraordinaire acuité, qu'il s'agisse des pauvres ou des riches, des compagnons d'infortune dans les camps, des subalternes ou du « Chef » (ainsi est qualifié Mao Tse-Toung par Tianyi), et même des parisiens qui prétendent tout connaître de la Chine. Toutes et tous, en quelques phrases, sont ramenés à ce qui les anime, à leurs moteurs existentiels, parfois de façon impitoyable, souvent avec une grande empathie.

Et enfin, les réflexions sur l'amour, l'amitié, la vie et la mort, l'Art, l'Univers, les êtres animés et inanimés, le temps, sont innombrables et si profondes, au point que, comme tous les grands livres, (ainsi en est il par exemple de A la Recherche du Temps perdu ou de Guerre et Paix, des romans de Kundera, de ceux de Woolf, …) ce livre vous invite au questionnement sur notre vie, sur la vie des humains, sur notre rapport aux autres et au monde. Et donc, un livre qui vous semble important à relire et relire.

Et il y aurait tant d'autres choses à dire sur ce livre, par exemple sur ce qu'il dit de la poésie chinoise, sur l'analyse des peintres européens, etc..
Une incroyable richesse de « trésors amassés » comme l'écrit l'auteur dans sa préface.


Une petite digression pour finir.

L'Académie Française, créée il y a bien longtemps par le terrible Cardinal de Richelieu, a souvent été critiquée pour son passéisme, son immobilisme, sa misogynie. C'est vrai qu'on n'y trouve pas beaucoup de femmes, alors que tant parmi celles-ci l'auraient mérité ou le méritent.
Mais, quand même, on peut se réjouir, dans le contexte ambiant, qu'elle ait accueilli bien des « étrangers » et de tous horizons, qui font honneur à notre langue et nous ouvrent d'autres horizons, parmi lesquels il y a justement le chinois François Cheng aux côtés (par ordre alphabétique) du belge Antoine Compagnon, du britannique Michael Edwards, de l'haïtien Dany Laferrière, du libanais Amin Maalouf, du russe Andreï Makine, du (controversé) péruvien Mario Vargas Llosa, et de l'italien Maurizio Serra.
En ce qui concerne François Cheng, je trouve qu'il nous fait comprendre, entre autres, la vision du monde de la philosophie chinoise et ce qu'elle peut apporter aux matérialistes occidentaux que nous sommes, ne serait-ce qu'en ce qui concerne notre rapport à la nature. Malheureusement, on peut se dire que le totalitarisme dans lequel vit la Chine a anéanti ces valeurs. Renaîtront-elles un jour? Ce serait bien pour notre humanité toute entière.



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