ISBN : 9782262004651
Ce volume s'attache à l'étude détaillée de la politique, tant intérieure qu'extérieure, menée par
Louis XVI jusqu'en 1788-1789. C'est probablement le tome de la trilogie que l'on risque de trouver le plus ardu et - pour certains - le moins digne d'intérêt. En réalité, ce tome deuxième constitue toute une mine, que nous fait visiter (avec quelle passion ! )
Jean-François Chiappe, sur le caractère de l'un des monarques les plus calomniés et les moins bien compris de notre Histoire - et d'ailleurs de l'Histoire mondiale. Dans le tome I, l'auteur nous rappelait déjà les liens du sang qui rattachaient Louis à Marie Stuart - Guise et Lorraine par sa mère, ne l'oublions pas - ainsi que la fameuse et sibylline devise de la reine décapitée : "En ma fin est mon commencement", devise qui conviendrait tout aussi bien à son lointain parent. Chiappe parlait aussi de l'intérêt que le Dauphin Louis, bien plus cultivé qu'une certaine tradition a voulu le représenter, portait à l"Histoire d'Angleterre" de Hume et, dans celle-ci, au chapitre consacré à la première victime de la "Glorieuse Révolution", Charles Ier, époux par ailleurs d'Henriette de France, fille de notre bon roi Henri. Or, Charles Ier mourut, lui aussi, décapité ...
Ce tome II nous fait plonger au coeur de la politique de
Louis XVI mais aussi au coeur d'une personnalité dont Chiappe, tout en restant d'une rare pudeur sur ce point, ne cesse de nous rappeler le formidable complexe d'infériorité sur lequel se bâtit le monarque. En tant qu'"Oint du Seigneur" et de "Roi Très-Chrétien",
Louis XVI n'a jamais douté de lui-même. Mais en tant qu'homme, frère de l'inégalable Louis-Joseph, fils de l'irremplaçable et trop dévot Dauphin et enfin petit-fils de l'incomparable Bien-Aimé, Louis-Auguste n'a jamais cessé de se remettre en question. Sans jamais s'en ouvrir aux autres : héritier du trône puis roi, cela lui était formellement interdit. En outre, même si son siècle commençait à revoir, entre autre, sa vision de l'éducation et de l'enfant, Louis marchait avec lui et ne faisait que pressentir les complexités mentales et psychiques que, au siècle suivant,
Freud s'empressera de compliquer encore.
On l'a dit et répété : sur le plan extérieur, la politique menée par
Louis XVI et ses différents ministres fut exceptionnelle. Exceptionnelle de détermination, d'audace et d'innovation puisque, n'en déplaise à Mr
Obama aujourd'hui, les Colonies américaines n'eussent probablement pu acquérir si tôt leur indépendance sans l'aide militaire et stratégique que leur fournit notre pays. Certes, Louis agissait ainsi surtout pour saper la suprématie anglaise - mais c'était de bonne guerre. Il fallait remonter aux tentatives faites sous le Régent pour voir la France tenter de se réconcilier avec cet "Ennemi Héréditaire" que fut, pendant tant de siècles, la perfide Albion. Sous Louis XV, tout était redevenu normal (avec l'éternel contentieux de la Guerre de Cent Ans), avec d'autant plus de facilité que les monarques britanniques étaient désormais de souche ... germanique. En effet, un an pratiquement avant la mort du Roi-Soleil, Georg Ludwig, Electeur de Hanovre, avait, par le jeu des alliances familiales et des successions, coiffé la couronne de Grande-Bretagne et d'Irlande. Il ne parlait pas un mot d'anglais et ne se donna jamais la peine d'apprendre la langue de ses nouveaux sujets - ses cendres reposent d'ailleurs en terre allemande. Mais il était protestant, et c'était surtout cela qui comptait : tout sauf un Stuart honni et catholique, pour les Anglais, tel était - et resta - le mot d'ordre.
Qu'ils naquissent en Hanovre - ce fut le cas de George Ier et de George II - ou en Angleterre, les souverains britanniques s'entêtaient encore et toujours à régner sur les mers ... et sur le commerce mondial. On l'a aujourd'hui oublié - en tous cas, on ne l'enseigne plus - mais, en ce temps-là, l'Angleterre jouait volontiers au Gendarme du Monde civilisé, ce qui, bien entendu, faisait grincer les dents des puissances continentales. Il est d'ailleurs on ne peut plus piquant de se dire que ce rôle tant envié allait, deux siècles plus tard, être endossé par leurs anciennes colonies outre-Atlantique, devenues les Etats-Unis d'Amérique. Et il est à la fois ironique et un peu navrant tout de même de se dire que, sans la France, tout cela ne serait peut-être jamais arrivé, en tous cas dans les conditions que nous connaissons actuellement.
Bref,
Louis XVI et la France permirent l'émergence des Etats-Unis, ce qui n'empêcha d'ailleurs nullement les membres du Congrès de traiter une paix séparée avec l'Angleterre et de placer leurs alliés devant le fait accompli, ce qui ne plut bien entendu pas aux intéressés. Pour la première fois, une monarchie aidait une République à se mettre en place. Les Anglais se dirent-ils, à la chute de Louis XVI, que ce châtiment était bien le seul qu'il méritait ? Une chose est sûre : l'or anglais a beaucoup servi - et Chiappe le démontre maintes fois - à déstabiliser une France où nombre de Philosophes admiraient - on ne voit pas trop pourquoi mais tant pis - le système politique britannique, où l'anglomanie fleurissait chez les plus proches du Trône (tel le comte d'Artois, qui demeura pourtant fidèle à son aîné, et, bien sûr, le duc d'Orléans qui, lui, devait faire basculer le vote de l'Assemblée en faveur de la mort de Louis) et où, fidèle à ses tics habituels et séculaires, le peuple français dans son intégralité trouvait que, ailleurs, l'herbe était bien plus verte.
Un fait cependant est indéniable : la croissance de la dette. C'est sur ce plan strictement intérieur que
Louis XVI se révèle parfois trop influençable ou indécis ou encore, ce qui le perdra, pas assez déterminé sur la longueur de l'expérience. Il renvoie l'abbé Terray, qui avait pourtant réussi à réduire le déficit, ne voit pas les erreurs pratiques d'un Turgot dont la théorie ne pouvait se révéler excellente qu'à long terme, troque le rigide baron pour un Necker à qui vient l'idée baroque de publier au grand jour l'Etat des finances du pays (et encore en se référant à des calculs qui ne sont pas tout à fait aussi orthodoxes qu'on devrait en attendre d'un aussi grand expert-comptable), renvoie aussi le Genevois pour le remplacer par un Calonne brillant, talentueux mais dont la méthode foncièrement turgotique est desservie par ce que nous appellerions aujourd'hui une campagne de presse mensongère et éhontée (eh ! oui, à cette époque aussi, la presse était aux ordres de ceux qui avaient suffisamment d'or pour la circonvenir, à savoir essentiellement les Anglais et la clique d'Orléans ), et enfin, au dernier acte, rappelle un Necker qui, malgré toute son adresse, tout son crédit et toute son intelligence - car le personnage est intelligent et même intègre, chose rare pour un banquier : Chiappe ne lui reproche en fait que son narcissisme - n'en peut plus mais. La machine est en marche et les Etats généraux convoqués. Avant cela, Louis a tenté une dernière manoeuvre : réunir l'Assemblée des notables afin de tenter de régler le problème financier. Mais les Parlements, ces Parlements que le jeune roi, encore tout imprégné de
Fénelon, avait commis l'erreur de rappeler lors de son accession au trône, rompant ainsi avec la volonté de son grand-père qui se méfiait, avec raison, de tous ces robins, exercent une telle pression sur les notables que ceux-ci se refusent à trancher, acculant par là-même
Louis XVI à la convocation des Etats.
En tentant de s'enfoncer dans la psyché de Louis XVI, Chiappe nous ramène à une question que le XXème siècle, lui, s'est posé souvent quant à ses gouvernants : les maladies dont ils souffrent influent-elles ou non sur leurs capacités politiques et, si oui, devrait-on, dans ce cas, les démettre de leurs fonctions ? Physiquement,
Louis XVI avait échappé à la tuberculose qui avait frappé son frère aîné et qui, si l'on doit en croire les rapports officiels, mit fin à la vie de l'enfant mort au Temple. Mentalement, c'était un homme de bon sens. Mais, après l'Affaire du Collier - évoquée dans ce tome et dont nous reparlerons - et avec les libelles de plus en plus infâmes qui attaquent la Reine, semble se produire une cassure. L'un de ses écuyers le trouvera, Chiappe l'assure, assis dans l'herbe et pleurant à chaudes larmes sur des pamphlets contre Marie-Antoinette qu'il lisait alors que, logiquement, il aurait dû continuer à chasser. En outre, fait tout aussi grave - sinon plus car il ressuscite le traumatisme central de l'enfance du roi, le destin gâché de son frère aîné et, bien sûr, la transmission du titre d'héritier du trône à un enfant qui, à l'origine, n'était pas fait pour le porter - le petit Dauphin (également prénommé Louis-Joseph, comme son oncle emporté trop tôt) est gravement malade. Là encore, la tuberculose. Elle emportera l'enfant le 4 juin 1789. Les noms, les dates parlent : le passé - son passé - rattrape
Louis XVI, et dans une période où, justement, le monarque a besoin de toute son énergie.
Mais
Louis XVI est-il encore en phase avec son destin de roi ? Plus précisément, en voit-il toujours avec autant de netteté l'aspect temporel ? Ne s'apprête-t-il pas, avec cette humilité et cette noblesse qu'il sut toujours garder dans les moments les plus critiques, sacrifier ce temporel à l'aspect spirituel de sa charge ? ... Consciemment ou non, Louis, fortement dépressif comme nous le dirions aujourd'hui, n'a-t-il pas perdu le goût de vivre ? Tout semble lui filer des mains. Lui, le premier de nos rois à se vouloir à tous prix "populaire" - en ce sens-là aussi, il innove - se voit incompris, dédaigné, humilié par un Peuple qu'il a aimé avec une passion qu'on ne retrouve que chez son aïeul Henri IV. Son fils, en mourant, s'apprête à laisser la couronne à son cadet, le petit duc de Normandie. L'Histoire se répète dans ce qu'elle a de plus familial et de plus triste. Car Louis-Auguste, le "petit Berry", finalement, n'était pas fait, à l'origine, pour être roi ... ;o)