« En littérature, les histoires de manuscrits perdus sont un lieu commun. Les livres, devenus objets de désir, engendrent un supplément d’imaginaire et d’aventure. On entame des quêtes et des enquêtes. On s’engage dans des poursuites, des duels. Contrepoint apparent, les histoires de manuscrits retrouvés sont aussi peu singulières. Les deux recettes se valent. Avec Daban, pour une fois, le même homme était à la source de la disparition et du retour de l’œuvre. Comme s’il avait prémédité et administré la perte pour profiter davantage de la satisfaction de devenir le sauveteur et le protecteur du texte. Enfin, une variation originale. »
Il m’arrivait aussi d’abandonner une phrase au bas d’une feuille comme on oublie une cocotte sur le bord d’une cuisinière à bois, pour un ragoût. Au matin, les saveurs et le fumet s’étaient évanouis. Mon projet se réduisait à une suite d’hésitations, de tentatives, d’échecs et de perpétuelles reprises.
Dans le train du soir, je retrouvai Daban. J’avais branché un casque sur mon téléphone. Je fermai les yeux. Seul, délesté du trac de la matinée. Je goûtais chaque confidence, chaque vérité dévoilée. Et le raffinement de la langue. Phrases courtes. Mots choisis. Mesure du temps. Daban parlait juste. L’élégance est rare. Plus séduisante que la beauté car elle s’exprime avec davantage de variété. Jusque dans les silences. Et l’absence encore. Un immense espace à combler de pensées, de réflexions et de rêveries.
Incipit :
Je dirais que c’était un vol. Quoi d’autres ? Certainement pas une étourderie ou une négligence de ma part. Je serais plutôt d’un naturel inquiet et prudent. Certains diraient méfiant. Tout est parfaitement clair dans mon esprit. Je conserve une image très précise de la scène. Le décor, les personnages, la météo.
J'avais pris soin de marquer la page 21 avec mon ticket de tram. Puis, je m'absentai quelques instants sans oublier de prendre mon portefeuille et mon téléphone. A mon retour, le livre avait disparu.
L'élégance est rare. Plus séduisante que la beauté car elle s'exprime avec davantage de variété. Jusque dans les silences. Et l'absence encore. Un immense espace à combler de pensées, de réflexions et de rêveries.
J'étais devenu un élément de la chaîne. Je faisais partie de cette histoire. J'avais donc le droit de m'en emparer et de modeler un nouvel objet littéraire à ma mesure.
"Un seul homme peut vous aider à récupérer ce livre. Il se nomme Guillaume Daban ”. Une adresse mail était associée à ce message. Un lien direct.
Il ne me manquait donc plus rien. Le reste n'était qu'une affaire de transaction commerciale. Un vendeur, un acheteur. Je n'aurais qu'à régler la somme et bientôt le livre me parviendrait par la Poste. Cela ne prendrais pas plus d'une semaine.
Brusquement, tout devenait ordinaire. Médiocre. Ma belle histoire, mon joli complot, s'effondraient tout à coup. J'aurais bien bataillé encore un peu. J'étais presque déçu d'avoir remporté la victoire si vite. Un homme me délivrait de ma frustration, Guillaume Daban, lui seul et pas un autre.