Ce roman raconte, de l'enfance à la vieillesse, la vie de Tsomo, née au Bhoutan et devenue nonne bouddhiste après maintes péripéties tragiques.
Dès la naissance, son horoscope assure que sa "roue de naissance" signifie qu'elle aura "sans cesse envie de voyager". Sa mère s'en étonne : comment le pourrait-elle, alors qu'elle est une fille ?
Au fil de sa vie, Tsomo s'interroge sans cesse sur la condition féminine. Elle aurait voulu être instruite, mais lire et écrire est réservé aux garçons. Sexualité et maternité sont des fardeaux féminins, qui exigent de "purifier" la maison, sans quoi si un enfant naît handicapé, c'est la faute de la mère... Les femmes sont coupables de tout, les hommes responsables de rien : si elles sont violées, c'est qu'elles sont des prostituées : si elles sont trompées, c'est qu'elles n'ont pas su s'occuper de leur mari...
Le premier mari de Tsomo a abandonné pour elle sa femme et son enfant ; lorsqu'il la répudie à son tour, après maintes violences, eh bien "c'est le karma", n'est-ce pas.
(Et le second mari ne vaut guère mieux.)
Cette acceptation de son sort, Tsomo la tient de sa foi bouddhiste. Toute sa vie, dans les travaux les plus durs comme dans les amitiés les plus solides, elle recherche une dimension religieuse. Et c'est ainsi qu'elle va réaliser la prédiction, en devenant une pèlerine, de lieux saints en sites sacrés, du Bhoutan à l'Inde et au Népal.
Très intéressante est, dans ce roman, la dimension historique - la persécution des lamas par le communisme - et sociale : "Des routes, il y en aurait, certes, mais seulement pour ceux qui auraient les moyens de s'acheter des automobiles. Ceux qui les avaient construites devraient se contenter de les parcourir à pied (...) Ils faisaient partie des matériaux employés. Ils figuraient sur la liste du chantier avec les excavateurs, les pelleteuses, les bulldozers et les rouleaux compresseurs."
Mais la dimension culturelle est assez passionnante aussi : Tsomo rencontre des lamas pour en "recevoir l'enseignement", c'est-à-dire les écouter pendant de longs jours alors qu'elle ne comprend même pas leur langue. Devenue nonne, elle vit de dons, car donner à une nonne vous assure des mérites si vous n'avez pas le temps de pratiquer vous-même. "Charité et partage étaient deux choses bien différentes. C'étaient généralement les pauvres qui partageaient, tandis que les riches faisaient la charité."
Et finalement,
Kunzang Choden dresse le portrait d'une société cruelle aux femmes et aux pauvres, sans remise en cause des inégalités de richesse, des immenses fortunes des monastères et des aristocrates. Une société dont la stabilité repose sur l'acceptation bouddhiste : c'est le karma ma bonne dame, que voulez-vous.
Et si vous avez tout accepté sans vous plaindre dans cette vie, la chance vous sourira peut-être dans la prochaine : vous serez réincarnée en... homme.
Traduction fluide de
Sophie Bastide-Foltz.
Challenge Globe-trotter (Bhoutan)