Aucun point de l’espace et du temps ne peut être privilégié. Et s’il existe une suite logique d’événements suggérant qu’un moment donné serait effectivement privilégié, il ne faut surtout pas conclure à une coïncidence.
La plupart des astronomes et des astrophysiciens étaient attirés par les grands espaces et les horizons lointains : l'évolution des étoiles massives et la formation de l'univers dévoilée par des signaux exotiques tels que les ondes gravitationnelles. Ça, c'était excitant. L'étude du système solaire, voire du soleil lui-même, c'était local, provincial, limité et englué dans les détails.
Changement climatique, catastrophes écologiques, pression démographique: c'était le siècle de tous les dangers, disaient certains, qui allaient jusqu'à le qualifier de "goulet d'étranglement de l'humanité".
En 2037, cela faisait presque deux cent ans que les courants induits par les éruptions solaires dans les lignes télégraphiques donnaient des migraines aux opérateurs. Plus le monde devenait dépendant de la technologie, plus il était vulnérable aux caprices du soleil...
Pour une civilisation hautement technologique et interconnectée, vivre avec une étoile revenait à vivre avec un ours. Il était possible qu'il ne vous fasse pas de mal. Mais la moindre des précautions était de le surveiller de très près.
- C'est peut-être pour ça que l'intelligence a évolué, au départ. Parce qu'il y a des circonstances - quand le soleil entre en éruption, quand un astéroïde tueur de dinosaures frappe - où les mécanismes de la sélection naturelle ne sont pas suffisants. Des moments où une conscience devient nécessaire pour sauver le monde.
- Un biologiste vous dirait qu'il n'y a aucune intention derrière la sélection naturelle, Bisesa.L'évolution ne peut pas vous préparer à l'avenir.
- Certes, répondit en souriant Bisesa. Mais comme je ne suis pas biologiste, je peux le dire.
Quand les astronautes des missions Apollo avaient rapporté leurs premiers échantillons de roche et de poussière, les géologues avaient été sidérés de ne pas y trouver la moindre trace d'eau... Il leur avait fallu des dizaines d'années pour comprendre. La Lune n'était pas une sœur de la Terre, mais sa fille, engendrée aux tout premiers temps du système solaire par une collision avec un autre corps céleste qui avait fracassé la Terre primitive. Les débris ayant par la suite fusionné pour former la Lune avaient été chauffés à blanc. Toute trace d'eau avait ainsi disparu. Plus tard, des comètes s'étaient écrasées sur la Lune. La plus grande part des milliards de tonnes d'eau apportées par ces impacts se volatilisait instantanément. Mais une trace, une simple trace, avait trouvé son chemin vers le fond des cratères polaires plongés dans une obscurité permanente, comme une offrande liquide à la Lune pour se faire pardonner les circonstances de sa naissance.