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sur 717 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
En m'attaquant, après California Girls, au premier roman de la très jeune et talentueuse Emma Cline, je m'attendais à une version fictive et psychologique de la sanglante saga de la Manson Family, voire à une analyse psychologique du phénomène de l'emprise sectaire sur l'esprit fragile d'une jeune fille..à moins que ce ne soit sur l'esprit d'une jeune fille fragile!

Bref, après l'épopée baroque, le rock diabolique, l'opéra lynchéen de Simon Liberati, je pensais aborder le même sujet sur le mode mineur.. et je vais même risquer le mot qui fâche :je m'attendais à une version « féminine » du tragique fait divers- un peu comme on dit d'un roman un peu fade et néanmoins distingué qu'il est « féminin », si vous voyez ce que je veux dire…

Ne poussez pas des cris d'orfraie : je provoque ! LOL, comme on ne disait pas encore dans les années 60..

En fait de roman féminin, voilà un roman puissamment féministe, mais d'un féminisme complètement renouvelé –adieu Annie Leclerc et autres bacchantes déchaînées –

Il s'appelle « The Girls » et je vous renvoie, pour l'analyse du titre, à l'excellente critique de Henri-l-oiseleur.

The Girls. Les filles.

Les filles, celles de la famille Manson bien sûr, mais aussi les filles américaines conditionnées par les publicités et les magazines de l'époque, les filles qui passent à se rendre désirables , - « remarquables »- un temps fou, ….temps que les garçons occupent, efficacement , à devenir eux-mêmes.

Les filles qui sont tellement plus fortes quand elles sont ensemble, qui semblent de jeunes requins arrogants en maraude dans les supermarchés où Evie les rencontre, ces filles qui disent « nous » et « on », alors qu'Evie, la jeune narratrice, perdue dans une famille qui ne l' éduque pas, qui ne la calcule pas, qui ne la comprend pas, ne peut utiliser qu'un « je » misérable et esseulé.

Les filles qui deviennent, comme Evie Boyd, des femmes «d'un certain âge», mais qui gardent la peur au ventre quand on sonne à leur porte, quand on les regarde avec un peu trop d'insistance au bowling, quand un coureur au crâne rasé semble foncer sur elles au bord d'une plage…

Les femmes qui voudraient pouvoir dire aux très jeunes filles qu'elles rencontrent que quand les hommes, devant elles, parlent entre eux, c'est leur silence à elles qu'on entend, et que ce silence est assourdissant…

Les filles , les femmes qui ont souvent en elles une telle frustration, une telle haine parfois, que c'est un miracle qu'elles ne deviennent pas des tueuses...

Formidable livre d'Emma Cline, construit sur deux plans , sur deux temps, alternés avec subtilité : celui du récit retraçant la rencontre, l'emprise puis le rejet brutal de la très jeune et très paumée Evie par les « Filles » de Manson, et celui du recul critique, de l'évaluation, où Evie, mûrie, 30 ans plus tard, constate que les choses, pour les jeunes filles américaines, même celles qui se donnent des airs très affranchis, n'ont pas tellement changé..

Remarquablement construit, écrit avec une sorte de poésie froide, parfois très glauque, souvent étincelante et aigüe comme un poignard, en tous les cas dans une langue qui n'est jamais convenue- je salue au passage la qualité rare de la traduction- , le livre d'Emma Cline m'a sidérée par son audace, sa désacralisation radicale des sweet sixties et du flower power, et sa cinglante actualité…


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Glauque, poétique ,fin et sublime...

1969 :Evie Boyd, 14 printemps, vit en Californie avec sa mère, ses parents sont divorcés . Pendant que son père est occupé à refaire sa vie avec son assistante de 20 ans , sa mère "s'essaie " à refaire la sienne et ,de nouvelles amitiés en nouvelles expériences en passant par un nouvel amour, elle en oubliera sa fille.
Evie , seule du matin au soir ,tombe sur une bande de Girls dont l'aînée, Suzanne ,la fascine littéralement . Libres de toutes attaches familiales , soudées, décontractées et pleines d'assurance , elles la présenteront au leader charismatique de ce qu'il faut bien appeler une secte et Evie fuguera pour les rejoindre . Dans ce ranch crasseux , circule de la drogue , et les filles sont pour Russell , une monnaie d'échange ...relations sexuelles, prostitution, viols ...Evie fera son "apprentissage" , et sera prête à tout pour l'affection de Suzanne , quitte à la suivre au bord du précipice .
Directement inspiré par un fait divers sordide ,( l'assassinat des occupants d'une maison à Hollywood par des membres de la secte de Charles Manson , dans lequel fut assassinée ,entre autres , la femme enceinte du cinéaste Roman Polanski ) ,ce roman va bien plus loin et nous offre un scanner de la condition féminine .
L'Evie d'aujourd'hui, se souvient de ce qu'était son adolescence : une ultra solitude, et des prédateurs qui savent profiter des opportunités. Une immense liberté d'aller et venir (compte tenu de son jeune âge ), visiblement tolérée par l'époque - Mais que fait la police ? -

Emma Cline, 27 printemps, nous livre un portrait d'ado sans concession, un personnage complexe , innocent et trouble à la fois ...mais aussi le polaroïd d'une époque flower power, qui ne nous fait pas rêver ...
Un premier roman magistral, servi par une écriture originale et poétique , un putain de coup de poing ! A quand le film ?
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J'ai un peu honte de l'avouer, mais l'assassinat de Sharon Tate, la femme de Roman Polanski, par Charles Manson et des adeptes de sa secte, je ne connaissais pendant longtemps rien, ou si peu qu'on peut résumer par les vers de Nicolas Peyrac dans So far away from L.A. : « Pauvre Madame Polanski / D'un seul coup on t'a pris deux vies / Mais qui donc s'en souvient ici ? » (le dernier strophe permettant de me déculpabiliser de mon ignorance"...

Heureusement, en cette rentrée littéraire, deux romanciers, l'une américaine et l'autre français, ont décidé de rafraichir notre mémoire en revenant sur cette tragédie de l'assassinat de Sharon Tate, par des adeptes du gourou Charles Manson. The Girls, d'Emma Cline et California Girls, deux romans incontournables de cette rentrée littéraire, et deux lectures finalement complémentaires sur un même sujet.

Pour son tout premier roman, The girls, la première d'entre elles i a fait sensation aux USA.

Emma Cline choisit de partir des événements et de la personnalité des membres de la secte pour créer une histoire et des personnages fictifs, bien que leur source d'inspiration parait assez évidente.

Ainsi, Russell, grand gourou séducteur et spirituel, musicien à ses heures perdues , évoque largement Charles Manson, tandis que Suzannre, objet de désir pour la narratrice, Evie, semble totalement inspirée par la plus charismatique des filles Manson, celle présentée comme étant la plus cruelle également : Susan Atkins, dite « Sadie ».

Si les faits sont bien évidemment inspirés des fameux meurtres perpétrés par les acolytes de Charles Manson en 1969, Emma Cline donne l'impression d'utiliser ce contexte plus pour aborder des thèmes assez proche de l'univers d'une Laura Kachiske, à savoir ceux de l'adolescence et de ses tourments.

Etude particulièrement fouillée et profonde sur les troubles et la psychologie adolescente et tout ce que cela induit :l'envie de trouver sa place, la vulnérabilité, la découverte de la sensualité, le manque de confiance en soi, l'envie de plaire, l'éveil à de nouveaux désirs : The Girls est une fort brillante et vraiment magnifique analyse des troubles de l'adolescence.

La plume de Cline, d'une grande puissance évocatrice et d'une forte tension psychologique ausculte avec ce qu'il faut de subtilité et de lyrisme la frontière tellement ténue entre le bien et le mal dans un roman qui laisse de fortes traces durables dans la mémoire et qui est assurément un des plus beaux livres de cette rentrée littéraire.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Titre qui colle parfaitement à son contexte.
Nous sommes quelque part en Californie, dans les années « peace and love ».
Evie Boyd a quatorze ans lorsqu'elle rencontre « les filles ». Vivant seule avec sa mère cocue divorcée, elle est insatisfaite de sa vie bien que ne manque pas de grand-chose excepté d'attention, peut-être. Elle s'est brouillée avec sa seule amie Connie et nous ne sommes qu'au début de l'été. Evie souffre. Jeune adolescente mal dans sa peau, en quête d'identité, en mal d'amour et d'acceptation, ferait n'importe quoi pour faire partie de quelque chose, de quelqu'un. Elle a soif d'appartenance. Soif d'appréciation.

« On. Cette fille faisait partie d'un on, et j'enviais son aisance, et le fait qu'elle savait où elle irait en quittant ce parking. Ces deux autres filles avec qui je l'avais vue dans le parc, toutes les autres personnes avec qui elle vivait. Des personnes qui remarqueraient son absence et s'exclameraient en la voyant revenir. »

Sa rencontre avec les filles (Donna, Helen, Roos, mais surtout Suzanne – la plus âgée de la bande puis celle qui deviendra immédiatement son idole, son obsession) lui permettra d'expérimenter une panoplie de choses; vol, sexe en groupe, drogues, rock'n'roll et plus encore. Quelques garçons font partie de la bande également, dont Guy (plus en arrière-plan) et Russell, bien plus âgé qu'eux tous.

L'adolescente, à un âge facilement impressionnable, entrera dans le cercle de Suzanne et la suivra comme son ombre. Tous vivent ensemble dans un ranch crasseux et décrépit, dans la pauvreté, subsistant de larcins et de riens. Leur avenir n'est pas voué à de grandes espérances. C'est l'engrenage du monde sectaire qui commence lentement. Russell est un genre de gourou pour ces filles, elles boivent ses paroles, s'imprégnant de tout ce qu'il dit; lui prêchant l'amour libre, le partage et le bien commun. Ça paraît beau, formidable, c'est de l'abus facile. Il profite de leurs faiblesses, suite à quoi leur jugement est peu à peu altéré. Tout se fait très subtilement.

« Il avait ce pouvoir. de s'adapter en fonction de l'autre, à l'instar de l'eau qui prend la forme du récipient dans lequel on la verse. »

C'est perturbant, consternant, de voir à quel point un être influençable peut se laisser entraîner facilement lorsqu'une personne qui a un certain talent pour embobiner et manipuler l'esprit s'y met. On peut voir toutes les ficelles que ces profiteurs tirent, ils savent exactement laquelle tirer et quand la tirer. C'est fort choquant d'être témoin d'abus de confiance de la sorte. On a pitié de ces filles, faibles et sans défense, au fond. Leur monde s'emprisonne comme dans une bulle, autour de Russell, du ranch et du groupe de filles alors les perceptions extérieures sont de moins en moins existantes. Elles ne se rendent vraiment compte de rien. Et plus le temps passe en compagnie de Russell, plus elles s'enfoncent dans la décadence. Aucun éclair de conscience ne semble apparaître, jamais (ou en tous cas, rarement). Au début, Evie voit bien quelques incohérences mais finit toujours par trouver une excuse à ce qui se passe...tout plutôt que de retourner dans le monde vide et fade auquel elle appartenait auparavant. La soif d'amour et d'appartenance, d'illusion est plus exutoire que n'importe quoi d'autre.

« Je revoyais Russell gifler Helen et cela refaisait surface comme un petit accroc à l'arrière-plan de certaines pensées, un souvenir de méfiance. Mais je trouvais toujours un moyen de donner un sens aux choses. »

C'est à la fois fascinant, pitoyable et dégoûtant de voir jusqu'où quelqu'un est capable d'aller pour obtenir ce qu'il veut, juste pour assouvir son besoin d'exercer son pouvoir. Quant à la personne qui est prête à n'importe quoi juste pour recevoir une once d'attention, ce n'est pas tellement plus admirable. Surtout lorsque les choses dérapent vraiment grave.

« Ce serait étrange, par la suite, de repenser avec quelle facilité je me laissais tenter. (...) Je voulais que Russell soit gentil, alors il l'était. (...) Je recyclais les paroles que j'avais entendues dans la bouche de Russell, je les façonnais sous forme d'explication. Parfois, il devait nous punir afin de nous exprimer son amour. Il n'avait pas voulu faire ça, mais il était obligé pour nous inciter à aller de l'avant, dans l'intérêt du groupe. Ça lui avait fait mal à lui aussi. »

« The Girls », c'est un roman où l'on perçoit toutes ces ficelles cachées derrière le rideau. Pour nous, lecteurs, la chose est évidente. le processus est clair. Pour l'actrice dans le livre, elle ne voit rien aller. L'autrice a très bien su manipuler ses personnages, peu importe de quel côté du gouffre ils se trouvent.

Un roman sans faille que j'ai adoré pour sa crédibilité. On sent que cette situation peut, pourrait et a pu exister, sans aucun doute. On entre dans l'histoire et nous avons l'impression de connaître les personnages à fond, de comprendre leurs états d'âmes. Ceci dit, je les ai détestés. Tous, sans exception. Je n'ai ni partagé leur façon de voir la vie, ni approuvé leurs choix, mais cela reste une lecture que je ne regrette pas du tout ! Elle vaut la peine d'être lue parce qu'elle remue et choque. Un sans-faute à recommander ! Bravo à Emma Cline !

CHALLENGE PLUMES FÉMININES
CHALLENGE USA
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Enterrement définitif des magiques mais illusoires années hippies, qui plus est par une auteure de vingt plus jeune que moi qui ne les ai pas vécues mais beaucoup fantasmées.
Transcription extraordinairement juste de l'adolescence et de ses tourments, ses miasmes, son ennui et ses errances.
Portrait saisissant d'une époque, les sixties américaines, trop riche, trop corsetée, marquée par des mouvements de libération qui portaient en eux les germes d'un individualisme qui s'avérera délétère.
J'ai adoré ce texte, son ton, sa construction, sa perspective sixties / présent, la désillusion qui le traverse.
Décidément, la génération montante a compris beaucoup de choses, a beaucoup à dire, et le dit bien.
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Qu'on le veuille ou non, les pires salauds que la terre ait portés fascinent. L'écrivain comme le lecteur.
Charles Manson, ce gourou hippie et sa horde de groupies dévouées corps et âme jusqu'à sacrifier leur jeunesse, leur vie, font partie de ces figures charismatiques qui continuent, quelques 40 années après leur méfait, à inspirer la création artistique, muses malgré elles.

Emma Cline ne déroge pas à la règle en consacrant le sujet de son 1e roman à cette secte de jeunes gens, principalement des femmes vulnérables et endoctrinées qui ont un soir massacré l'actrice Sharon Tate, alors enceinte, dans sa villa californienne.

Mais ce que j'ai considérablement apprécié, est le parti pris narratif. Exit, le focus gore et sanglant sur cette bande de filles complètement frappadingues, menées par la spectaculaire Susan. Bien entendu, Emma Cline évoque ces tristes figures mais à travers le regard d'Evie Boyd, adolescente mal dans sa peau, qui du haut de ses 14 ans, découvre bien trop jeune les errements auxquels nous mènent la solitude et le mal être de manière générale.

Fascinée par cette bande de jeunes femmes libres (pense-t-elle), insoumises, rebelles, si fières de leurs corps, totalement à l'aise avec leur sexualité, délivrées du carcan conformiste de cette société américaine de la fin des années 60, ces filles renvoient Evie à la triste normalité de son existence solitaire, délaissée par sa mère et son père, récemment divorcés. Evie se trouve à un âge où elle se questionne, sur tout : son corps, sa sexualité, son rapport aux hommes, aux femmes, les notions d'amitié, d'amour, qu'attend-t-on d'elle, quel avenir se créer. Touchante Evie qui se cherche une place dans cette société en pleine mutation et qui pense trouver, dans ce groupe hippie qui l'accueille à bras ouverts, une famille qui lui fait tant défaut. Sous le regard perçant de la farouche Susan, Evie se sent transportée dans une tribu de coeur avec laquelle elle découvre l'interdit : la drogue, le sexe, la liberté d'agir sans tabous. Jusqu'au drame.

Très beau roman d'initiation, The Girls est une petite pépite de justesse. Emma Cline y décrit parfaitement les tourments de l'âge adolescent avec un style limpide qui n'épargne pour autant pas le lecteur, fable féroce et cruelle derrière de simples apparences. Un 1e roman qui met du plomb dans la tête et que je recommande fortement. Et une plume que j'espère bien retrouver sous peu.
Lien : http://www.livreetcompagnie...
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Bien, pour poser un peu les choses : j'ai été un peu lassée de partir en « spéléo » en ce début d'année 2017 à la découverte de nouveaux auteur(e)s et de me casser les dents (enfin les yeux !!) sur des navets, des trucs vraiment moyens et j'ai donc décidé de « sélectionner » plus drastiquement mes lectures dorénavant !

J'ai remarqué aussi qu'il m'est étrangement plus aisé de produire une critique négative motivée qu'un chaleureux éloge d'une oeuvre qui m'a enthousiasmé. C'est le cas du premier roman d'Emma Cline : « The Girls » (et aussi celui du livre de Simon Libérati « California Girls » sur le même sujet). Alors je me lance en espérant vous transmettre l'envie de le lire et de le découvrir.

Le personnage d'Evie Boyd dans le roman d'Emma Cline, est une compilation de toutes les « girls » qui ont gravité autour de la secte hippie fondée par Charles Manson dans les années soixante. Si le livre est « romancé » il est néanmoins inspiré de l'histoire vraie de ces filles prisent dans l'engrenage et dans une spirale de violence infernale et meurtrière qui aboutira entre autre, en 1969 à ce fait divers qui secoua l'Amérique d'alors : l'assassinat de l'actrice Sharon Tate, femme du cinéaste Roman Polanski, et des amis qui se trouvaient avec elle dans une demeure cossue de Beverly Hill à Los Angeles. Ce livre analyse donc le « pourquoi du comment » ils en sont arrivés là et retrace leurs parcours.

Evie est une gamine mal dans sa peau, « paumée » en quête de reconnaissance absolue qui s'ennuie ferme en cette fin des années 60 dans sa famille « décomposée » qui part à vau-l'eau. Fâchée avec sa seule amie, Connie, Elle ne tardera pas à être séduite par le charisme de Suzanne, cette fille étrange aux cheveux longs, à l'aspect négligé. Belle aux yeux d'Evie, rebelle et libre, elle l'amènera à fréquenter assidûment le « Ranch » qu'elle partage avec une bande de jeunes gens miteux, sales et totalement désoeuvrés qui révère leur gourou, le magnétique Russell.
Evie, impatiente de « faire ses preuves » sera amenée à voler afin de mieux se faire accepter dans cette communauté qu'elle considère comme sa nouvelle famille. Elle flirtera avec le crime et ne l'évitera que de justesse et encore à cause d'un revirement étrange et suspect de Suzanne qui l'écartera au dernier moment. Remords, peur qu'elle soit trop jeune pour assumer ce qu'ils vont faire, peur qu'elle les ralentisse qu'elle les paralyse, qu'elle soit une entrave ?

L'écriture ausculte une génération, ses maux, les méandres de la complexité adolescente, l'emprise psychologique ; c'est un roman flamboyant, poétique et presque extatique mais aussi dur au style net et tranchant comme un couteau...

Certes les noms sont déguisés mais le propos est là. L'auteure analyse avec succès et tout en sentiments la dérive laxiste et permissive des sectes et du rêve hippie d'alors. Mais le sujet est intemporel et l'on s'aperçoit vite avec la mise en miroir de l'Evie d'aujourd'hui qui se remémore son passé, que le discours peut être appliqué de nos jours également avec les mêmes techniques pour d'autres raisons et avec d'autres gourous….
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Evie est une jeune adolescente, fille unique, elle vit seule avec sa mère dans le Nord de la Californie, à la fin des années 60. Elle passe son temps avec sa meilleure amie d'enfance Connie. Mais, Evie ne sent pas forcément bien dans son corps, ni dans sa tête. Comme beaucoup d'adolescents, elle se pose des questions quant à la sexualité et les relations amoureuses.

Un été, elle est attirée par un groupe de filles qui l'intrigue par leurs tenues négligées et le sentiment de liberté qu'elles laissent échapper dans leurs attitudes excentriques et marginales. Cette bande de fille se compose de Suzanne dont Evie est immédiatement fascinée et connectée à son regard.

Après plusieurs rencontres et un climat familial et amical devenu bancal, Evie se lance, elle veut faire partie de leur bande. Entraînée dans ce groupe, elle fait la connaissance du leader Russell, un homme aux moeurs inadmissibles avec ces jeunes filles. Durant une bonne partie de l'été, elle va donc faire des allers retours entre le domicile familial et le ranch caché en plein milieu des collines. Là où tout n'est que délabrement. Mais, Evie mettra du temps avant de se rendre compte de la réalité. Pour le moment, elle semble satisfaite d'appartenir à ce groupe. Mais face à ce semblant d'existence, la relation quasi obsessionnelle en particulier avec Suzanne et le reste du groupe va conduire à un drame d'une violence extrême. Car Evie est prête à franchir toutes les limites pour ne pas déplaire à Suzanne.

Remarquablement bien construit, ce roman foisonne de détails justes et expose singulièrement les comportements parfois excessifs des adolescents. L'alternance entre les passages au présent où Evie est une adulte et les moments où elle revient sur le récit des événements de son passé, où elle essaie d'analyser ses actes permet au lecteur d'avoir une vision globale de la situation. Car ce n'est pas juste une adolescente, mais également l'adulte qu'elle est devenue que met en avant l'auteure.
J'ai été captivée par ce premier roman brillamment écrit par une jeune auteure de 27 ans.
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Le cas Charles Manson fait encore beaucoup parler aujourd'hui. Pour preuve, deux livres lui sont consacrés en cette rentrée littéraire: le « California Girls » de Simon Liberati se focalise sur les crimes perpétrés par la famille Manson, tandis que « The girls » s'intéresse plutôt au contexte historique.

Si le thème du livre vous rebute parce que vous craignez d'assister à des effusions de sang et des scènes atroces, ne craignez rien, ce n'est du tout le but de l'auteure. En effet, Emma Cline utilise l'histoire de ces crimes comme prétexte pour nous parler d'une époque. On suit les péripéties d'Evie, jeune fille un peu désenchantée, comme beaucoup d'adolescents à un son âge. Son foyer familial n'est pas des plus stables elle est donc blasée et en recherche de fantaisie. La rencontre avec Suzanne, fille rebelle qui dégage un sentiment de liberté, va être une bouée de sauvetage à laquelle elle va s'accrocher.

Grâce à cette histoire, j'ai été transporté dans l'Amérique des années 60/70. L'auteure a su parfaitement recréer l'atmosphère d'insoumission qui régnait à ce moment-là. Dans ces circonstances particulières, ce roman nous parle surtout de l'adolescence et de sa fragilité. Sans véritables repères, les jeunes gens, d'une grande naïveté, sont influençables et certaines personnes peuvent en profiter. L'admiration d'Evie pour Suzanne, va la pousser à tout faire pour lui plaire. Elle va alors se retrouver bien malgré elle dans l'engrenage de la secte dirigée par le charismatique Russell. C'est donc un roman sur la liberté et l'innocence, qui mal encadrées, peuvent conduire à une fin tragique.

Pour son jeune âge, Emma Cline manie une plume de très haut niveau. le style est en même temps soutenu et envoûtant. J'ai ressenti tout le travail que ce livre a dû lui demander afin de retranscrire au mieux l'ambiance de l'époque. En alternant entre passé et présent, elle nous prouve que le monde a changé mais que les comportements puérils se perpétuent. Elle fait du même coup une entrée fracassante dans le monde littéraire, avec ce roman universel sur la jeunesse, que j'ai trouvé à tous points de vue fascinant !
Lien : https://leslivresdek79.wordp..
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Voilà le livre dont tout le monde parle. Tout le monde a raison d'en parler. Car c'est un domaine qui n'est pas traité convenablement en littérature ni ailleurs, l'âme de la jeune fille par elle-même. Et pour cause, unique est la société dans l'histoire où elles ont la parole. C'est la nôtre. Pourvu que ça dure...Rien que l'idée qu'elles pourraient (que nous pourrions) la perdre fait froid dans le dos. L'auteure avait une toute petite vingtaine quand elle a écrit. Un tout petit peu plus que l'âge des "girls", des souvenirs très nets et un recul suffisant pour son incroyable lucidité.
Nous plongeons donc dans l'esprit d'Evie Boyd, 14 ans en 1969, et peut-être la cinquantaine pour le moment de la narration. Deux époques mises en parallèle, deux Evie. La plus agée revient sur des événements traumatiques ayant eu lieu dans sa quinzième année. Livrée plus ou moins à elle même après le divorce de ses parents, s'étant disputé avec sa "meilleure" amie qui ne la satisfaisait plus, Evie rencontre Suzanne (double romanesque de Susan Atkins, la meurtrière de Sharon Tate et de ses amis, la disciple de Charles Manson.) Immédiatement fascinée par sa personnalité, sa liberté, son charisme -et aussi ses ténèbres, Evie la suit au Ranch où règne en maître Russel, la trentaine, gourou entouré d'une floppée de jeunes filles. Evie trouve à cet endroit l'attention, l'affection, une réponse aux vides qu'elle sentait en elle. Elle tombe sous l'emprise de Russel et, surtout, elle ressent envers Suzanne une passion grandissante...
En parallèle, Evie âgée, dont la vie est un ratage, rencontre, en gardant la villa d'un vieil ami, le fils de celui-ci, Julian, la vingtaine, et sa petite amie Sasha d'une quinzaine d'années. Sasha, jeune, ignorante, soumise sans s'en rendre compte à la loi des garçons, lui rappelle sa propre adolescence.
C'est un roman dur et violent, qui fait peur. Peur pour les filles, paradoxalement. Il émane des garçons et des hommes une violence sexuelle et physique perpétuelle. Ils sont un danger permanent, ne considèrent jamais, que ce soit dans les années 60 ou actuellement, la jeune fille comme un être humain. C'est un jouet, un objet de satisfaction. Evie ne cesse de ressentir cette angoisse, même âgée. Au centre du récit, c'est Russel qui utilise ses girls comme des marionnettes, les offrant en cadeaux pour obtenir un contrat musical, se les offrant à lui même pour tester son pouvoir, les envoyant à sa place se venger après les avoir fanatisées. Mais autour de Russel, ce n'est pas mieux. L'éducation des jeunes filles se fait autour de contes de fées et d'attente de l'homme. Elles ne se construisent pas, d'où les failles béantes où s'introduisent, si j'ose dire, les pervers, mais aussi juste les pas très gentils, les inconscients etc... "Je voulais m'entendre dire ce qu'il y avait de bien chez moi. Plus tard, je me demandai si c'était pour cela qu'il y avait beaucoup plus de femmes que d'hommes au ranch. Tout ce temps consacré à me préparer, à lire des articles qui m'apprenait que la vie n'était en réalité qu'une salle d'attente, jusqu'à ce qu'on vous remarque, les garçons l'avaient consacré à devenir eux-mêmes." Ainsi, toutes les filles-femmes sont atteintes de ce défaut d'être, de cette soumission à n'exister que dans le regard d'un homme.
Ce que Russel a de "plus" que le garçon de base, c'est qu'il sait instinctivement utiliser la "haine" que ressentent ces jeunes filles vis-à-vis des hommes. Et de cette haine, il va s'amuser à faire un grand spectacle. "La haine venait facilement. Elle s'était constamment transformée au fil des ans : un homme dans une fête foraine qui m'avait palpé l'entrejambe par-dessus mon short. Un homme sur le trottoir qui fit mine de se jeter sur moi et éclata de rire en me voyant tressaillir ...Tout cela était fréquent. Tout cela se produisait des centaines de fois. Peut-être plus. Cette haine qui vibrait sous mon visage de jeune fille, je pense que Suzanne l'avait reconnue. Ma main appréhenderait le poids d'un couteau, naturellement."
Le comble du mâle psychopathe, c'est d'utiliser la peur et la haine des hommes des jeunes filles pour son propre plaisir de tuer et de détruire. Carrément flippant.
Flippante aussi la jeune Sasha, notre contemporaine, toute prête à n'importe quoi à 15 ans pour s'attirer une caresse, un regard, une parole de son copain. On sent que tout est encore possible.
Mais l'espoir, bien sûr, c'est cette parole libérée d'Emma Cline, une jeune fille qui a tout compris, elle-même et les autres, et dont il faut mettre le livre entre toutes les mains pour que la lumière se fasse sur l'humanité partagée des femmes et des hommes.
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