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Critique de HordeDuContrevent


« Un chef d'oeuvre d'horreur s'achève. Pas un mot, pas un geste, il serait malhonnête de poser une seule ombre de nous ».

Après lecture du très beau livre « Moi, Oedipe » de Alain le Ninèze qui nous offre de revisiter le mythe oedipien sous un angle original, une autobiographie, je poursuis ma redécouverte de ce mythe, cette fois en me tournant vers le théâtre et cette réinterprétation très moderne de Jean Cocteau qui, en une pièce en quatre actes, injecte une certaine dose d'humour dans cette lecture toute personnelle.
Une tragédie comique, le personnage d'Oedipe éloigné du roi fier et impérieux de Sophocle ici arrogant et impulsif, la présence de nombreux fantômes, un Sphinx qui perd de son aura fabuleux et féérique pour être plus proche d'un démon sous les apparences d'une femme, Jean Cocteau semble vouloir s'éloigner de la grandeur des dieux pour placer son regard sous le sceau du destin, cette machine infernale à laquelle les hommes ne peuvent échapper. Destin inexorable et impuissance des mortels, cette vision semble plus proche de celle d'un Sénèque.

« Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d'une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un mortel ».

Cette pièce a été écrite en 1932 et met en scène l'arrivée d'Oedipe à Thèbes, enfin, il ne le sait pas encore nous pourrions dire son retour plutôt, retour vers son propre berceau, après son départ volontaire de Corinthe. La « Voix » dans la pièce nous donne des éléments de contextualisation : le jeune Oedipe, après s'être fait moquer par ses camarades quant à ses origines, est allé voir une pythie et les oracles lui ont annoncé un destin terrible : il tuera son père et épousera sa mère. Il pense pouvoir contourner cette terrible prédiction en fuyant ses parents et donc sa ville, errance le conduisant à Thèbes. En chemin il tue par accident un vieillard.

Le 1er acte est consacré au fantôme de ce vieillard, qui n'est autre que Laïus, le roi de Thèbes, qui essaie de faire passer un message d'alerte à sa femme Jocaste. Acte étonnant où nous voyons un fantôme bégayant ne pouvant apparaitre que dans des odeurs pestilentielles de marais et de marécages, une reine qui ne cesse de s'énerver après son écharpe sur laquelle elle marche menaçant de s'étrangler avec. Ce premier acte pose le ton délibérément moderne et en décalage avec la pièce d'origine de Sophocle et étonne le spectateur. Jean Cocteau nous propose un pas de côté et nous le propose avec humour dès ce premier acte.

Le 2ème acte est consacré à la rencontre d'Oedipe et du Sphinx. Très éloigné des représentations épiques d'un Gustave Moreau, ce Sphinx a forme humaine et peut représenter tout démon personnel qui habite tout un chacun, douleurs, malheurs, maladie…La résolution de l'énigme est présentée sous la forme d'une mascarade, le Sphinx ayant donné la solution avant même qu'Oedipe la donne alors comme si cela venait de lui, d'un air fier. Il me semble que Jean Cocteau réduit considérablement la portée de ce mythe de l'énigme en la colorant d'une auréole de manipulation. Nous nous arrangeons souvent avec nos démons, marchandons avec eux, et sommes fiers d'annoncer une victoire contre ceux-ci, du moins un contrôle de ceux-ci, alors qu'en réalité nous ne résolvons rien, tout est en effet souvent simples annonces et belles paroles…était-ce là le message de l'auteur ? Cet acte est complexe me semble-t-il, il y a certains passages qui mériteraient pour ma part une relecture.

Le 3ème acte est centré sur la nuit de noce entre Oedipe et Jocaste où la différence d'âge entre les époux est mise en valeur. Jocaste découvre durant cette nuit durant laquelle ils s'offrent l'un à l'autre, les cicatrices sur les pieds d'Oedipe, lui rappelant ce bébé qu'elle a abandonné du fait d'un oracle prédisant que cet enfant allait tuer son père. En l'abandonnant elle avait percé les pieds du bébé. le jeune homme évoque un accident de chasse enfant, mais un certain trouble s'installe. Atmosphère étrange accentuée par le fait que le berceau de ce bébé est toujours dans la pièce, contre le lit des amants.

Enfin le 4ème acte évoque Oedipe roi dix-sept ans après, durant l'épidémie de peste qui ravage Thèbes. Un acte qui va porter sur le dénouement de l'intrigue et la compréhension terrible de la réalisation de l'oracle : Oedipe a bel et bien tué son père et épousé sa mère étant l'enfant de Laïus et de Jocaste, et ayant été adopté par un couple stérile à Corinthe qui a en effet trouvé ce bébé aux pieds percés. Jocaste se suicide, Oedipe se perce les yeux et décide de s'exiler.

C'est au final une pièce dans laquelle Jean Cocteau a su prendre de la distance avec le côté tragique et grandiloquent de ce mythe en introduisant de nombreuses notes d'humour, de la dérision, parfois même certains anachronismes (il évoque par exemple la présence de boites où on écoute de la musique la nuit...des boites de nuit en 1932, je ne sais mais c'est troublant).
Elle donne à réfléchir quant à sa portée philosophique, un peu différente sur certains aspects de la pièce d'origine. le Sphinx notamment a une portée que je pressens importante mais complexe. Ses liens avec une matrone tout d'abord puis avec Anubis sont clés et une deuxième lecture me sera nécessaire pour en comprendre toute les significations, ce d'autant plus que je ne suis guère familiarisée avec la lecture de la mythologie et encore moins de pièces de théâtre. L'acte II comporte des clés à côté desquelles je suis passée.
Mais le message central de la pièce dans sa globalité reste le même : pouvons-nous échapper à notre destin ? Ne sommes-nous que l'instrument involontaire de notre destinée ? de simples spectateurs ?

Ce fut une lecture plaisante d'une réinterprétation du mythe oedipien très étonnante de la part de Jean Cocteau, assez inclassable. Pas étonnant de la part de l'auteur qui écrit dans la pièce, comme s'il parlait de lui :

« Apprenez que tout ce qui se classe empeste la mort. Il faut se déclasser, Tirésias, sortir du rang. C'est le signe des chefs d'oeuvre, voilà ce qui étonne et qui règne ».

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