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Critique de kielosa


En 1992, ayant fui son pays d'origine en guerre et fraîchement débarqué en France, ce Bosnien de Bretagne, qu'est devenu Velibor Colic, prenait aussitôt des cours de Français, langue qui lui était totalement inconnue. À son enseignante de la langue de Molière, qui s'informa de ses projets en France, l'auteur notait comme unique réponse "Goncourt !" C'est dire que l'homme avait de l'ambition. Même pas un quart de siècle plus tard, s'il n'a pas encore obtenu ce Prix, il peut se vanter d'avoir écrit plusieurs oeuvres notoires directement en Français : "Jésus et Tito" (2010), "Sarajevo omnibus" (2012), "Ederlezi : Comédie pessimiste" (2014) sur les tziganes, et "Manuel d'exil : Comment réussir son exil en trente-cinq leçons" (2016). Plus l'introduction du livre d'Alban Lécuyer "Ici prochainement : Sarajevo", que j'ai chroniqué le mois dernier.
Avant, cet écrivain, né en 1964 à Odžak en Bosnie-Herzégovine, avait déjà écrit plusieurs oeuvres en Serbo-croate dont les plus connus sont sans doute : "Les Bosniaques" (1994) et "L'ombre du mur" (2001).

"Chronique des Oubliés", écrit 2 ans après son arrivée en France, pendant qu'il séjournait à Strasbourg, dédié à "tous ceux qui sont tombés dans l'oubli", est très court (95 pages) et subdivisé en de nombreux chapitres, souvent d'une ou de deux pages seulement. Résumer est dès lors exclu.
L'ensemble ressemble à une sorte de recueil de flashes, d'instantanés, qui à partir de souvenirs, constituent des témoignages émouvants de l'horreur et de l'absurdité de la guerre et de la violence. Certains vous glacent le sang et sont donc peu recommandables juste avant d'aller dormir !
Cette méthode permet cependant de se faire une idée plus précise de ce que cette violence arbitraire, aveugle et atroce a signifié pour les enfants, femmes et vieillards dans les villages isolés de Bosnie et qui ne sont, hélas, plus là pour raconter la terreur et la souffrance dont ils ont été les innocentes victimes.

Quelques brefs exemples pour illustrer la réalité de cette guerre d'ex-Yougoslavie. Un père qui dans un abri de fortune confectionne, avec des veilles chaussettes, une poupée pour sa petite Anna, morte depuis 3 jours par la balle d'un sniper "C'est pourquoi il ne pleure pas. Il n'y a pas de larmes sur son visage. Sa douleur est sèche." Les cadavres carbonisés de 4 soldats serbes attachés à une porte en bois, déposée sur l'eau de la rivière Bosna et poussée en direction de la Serbie, avec une pancarte : "Donnez bien le bonjour à Slobo !" le pauvre soldat croate qui rêve d'avoir encore ses jambes et qui au réveil, constatant que ce n'est pas le cas, essaie de se couper la gorge à l'hôpital de Slavonski Brod, manque son coup, et meurt 5 jours plus tard de gangrène.

Ayant été enrôlé, contre son gré, dans l'armée bosniaque, dans ces instantanés condamnant la violence, il n'épargne pas ses compatriotes, bien que ce soient évidemment les Oustachis (Croates) et surtout les Tchetniks (Serbes) qui écopent. Comme notamment les troupes "d'elite" , les Aigles Blancs.

J'ai été tellement séduit par la beauté de la langue, que je me suis fait la réflexion que la traductrice mériterait un prix. En vérifiant j'ai découvert qu'en fait, Mireille Robin, diplômée en langues slaves et la grande spécialiste du Serbo-croate vers le Français en avaient déjà obtenu 2 prestigieux : le Prix Halpérine-Kaminsky en 2003 et, 7 ans plus tard, le titre de Chevalier des Arts et Lettres pour justement ses travaux de traductrice. À Novi Sad, au Nord de la Serbie, elle a marié le poète Rade Tomic, de qui elle a eu 3 enfants. Lorsque celui-ci, en tant qu'opposant politique, a disparu mystérieusement, elle est rentrée en France, à Rennes. Elle a traduit les principales oeuvres de pratiquement tous les grands noms en cette langue, tels Borislav Pekic, Rajko Djuric, Dubravka Ugresic, Slavenka Drakulic, Ljubica Arsic etc.
J'ignore qui est le plus à louer pour cette réussite, l'auteur ou sa traductrice ? Car le résultat est à la fois terrible et très réussi.

Velibor Colic estime que pour écrire après une guerre, "il faut croire en la littérature.... Vouloir croire en la littérature après la guerre, ou pendant qu'elle dure encore, est une forme de résistance." Se taire, selon lui est "une honte. Car se taire veut dire approuver."
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