Jongkind, lui, est une machine à percevoir les jeux magiques de la lumière et de l'ombre, du soleil et du brouillard, des lignes et des couleurs, et à interpréter aussitôt, crayon et pinceau à la main, cette perception oculaire. Tout lui est indifférent hormis les spectacles qui, à chaque détour du chemin, s'imposent à l'attention de son oeil. Il y a là un phénomène essentiel et mystérieux, une sorte de force instinctive dont il ne s'affranchit jamais. Elle le poursuit comme une hantise et souvent il en souffre. Mais dès qu'il aborde la ville, la campagne, la mer, dès qu'il quitte son atelier, il est en proie à cette frénésie du dessin, à cette fureur de la notation.
Jongkind n'a jamais connu l'étreinte du mysticisme qui paralysa si longtemps Van Gogh. Il est dépourvu, à un degré presque inconcevable, de toute préoccupation littéraire ou philosophique. Tandis que Vincent dévore avec passion, et non sans y perdre parfois le sens de l'orientation, une bibliothèque disparate où le meilleur voisine avec le pire, — sociologues, moralistes, poètes, romanciers, — Johann-Barthold n'affiche aucune curiosité de cet ordre; ses lettres, son journal ne révèlent pas le titre d'un seul livre qui l'aurait retenu.