Après les grands succès (
La dame en blanc,
Pierre de Lune) qui ont fait sa renommée,
W. Wilkie Collins nous a livré en 1873 ce roman sans doute moins ambitieux mais avec toujours la touche de suspense et les rebondissements qui sont sa marque de fabrique.
En France, durant la guerre franco-prussienne de 1870, deux anglaises se rencontrent par hasard dans un refuge rempli de soldats français blessés tandis que la zone est attaquée. A la lueur des bougies, les deux femmes échangent quelques propos sur leur passé et leurs perspectives d'avenir. En tant qu'infirmière, Mercy est là pour soigner les blessés mais avoue avoir été une femme "déchue" et avoir vécu dans un foyer. Elle suscite immédiatement la répulsion de Grace, orpheline sans fortune qui caresse l'espoir de servir de dame de compagnie à Lady Janet, une parente éloignée, dès qu'elle sera parvenue à rejoindre l'Angleterre. Mais un obus blesse grièvement Grace, la laissant pour morte. Mercy ne résiste pas à la tentation de prendre son identité et de tenter sa chance auprès de Lady Janet. Une décision lourde de conséquences...
La trame du roman est tissée autour de cette usurpation d'identité, mais le génie de
Wilkie Collins est de renverser les conventions habituelles en nous faisant ressentir de la compassion pour l'usurpatrice et de l'antipathie pour la victime. Les prénoms fortement symboliques des deux héroïnes laissent dès le début entrevoir le rapport de forces qui existera entre elles deux, ainsi que les sentiments qui vont les dominer.
Mercy, synonyme de pardon, de charité, est la figure même de la rédemption, du repentir. Elle incarne la pécheresse qui donna son titre initial au roman, la nouvelle Madeleine, un titre qu'il aurait été judicieux de conserver en français, car c'est bien le rachat des fautes passées et le repentir qui sont le thème majeur du roman (je n'y ai pas trouvé de réelle passion...).
Quant à Grace, son prénom évoque le don, le privilège, la faveur tombée du ciel mais... pas forcément méritée. Car Grace, bien que victime de Mercy, va se montrer mesquine, peu compréhensive pour les malheurs de Mercy et l'on n'arrive pas vraiment à éprouver de la sympathie pour elle. A l'inverse, Mercy nous touche par son triste passé de femme déchue, par son noble coeur, par ses remords cuisants pour la faute qu'elle a commise en prenant la place d'une autre et l'on se prend à espérer qu'elle ne sera pas démasquée.
Le roman adopte une forme insolite, pas tout à fait une pièce de théâtre, mais presque, avec des chapitres annoncés comme des tableaux et surtout un long huis-clos qui réunit les protagonistes dans la demeure de Lady Janet, avec entrées et sorties successives des personnages dans le salon ou dans le jardin d'hiver. Les rebondissements s'enchaînent, le suspense dure... Qui va gagner la partie, Mercy ou Grace, l'amour du prochain ou la morale corsetée de l'époque victorienne ?
Avec ce portrait d'une femme déchue qui peut être non seulement pardonnée mais aimée, on peut aussi y voir une courageuse prise de position de
Wilkie Collins qui défend les prostituées, comme le faisait son ami
Charles Dickens. Car même s'il n'est pas clairement dit que Mercy s'est prostituée, on peut le lire entre les lignes. Pour autant, avec une fin rappelant un peu l'exil de Manon Lescaut, la morale est sauve.
Intéressante dénonciation de l'hypocrisie de la société victorienne qui dut titiller quelques consciences lors de sa parution, ce roman de
Wilkie Collins n'a plus la même force aujourd'hui et ne m'a pas emballée comme ses grands policiers.
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