La littérature est le lieu ou j'exprime mes peurs et mes angoisses, où je tente de me libérer de questionnements obsédants.
(...) je fis la connaissance de l'importante colonie d'exilés haïtiens dont le grand poète Jean Brière, tellement courtois et affable. Dans cette compagnie j'appris à faire le parallèle entre le sort d'Haïti et celui des pays africains. Ils souffraient des mêmes maux : incurie et tyrannie de leurs dirigeants qui ne se préoccupaient pas du sort de leurs peuples. Corruption généralisée de la société. Ingérence des pays occidentaux qui n'avaient que leurs propres intérêts à coeur. (p. 155)
De toute les villes où j'ai vécu, Conakry demeure la plus chère à mon cœur. Elle a été ma véritable porte d'entrée en Afrique. J'y ai compris le sens du mot "sous-développement". J'ai été témoin de l'arrogance des nantis et du dénuement des faibles.
(...) je m'en aperçus tout de suite, les Antillais ne vivaient qu'entre eux. A travers l'ensemble du continent africain, un fossé les séparait des Africains. Ils ne se fréquentaient pas et je fus tentée de me faire une opinion sur les raisons d'une telle situation. Je me refusai à croire, ce qui était communément admis, que les Africains détestaient les Antillais. Qu'ils les croyaient habités d'un sentiment de supériorité qu'à leurs yeux, rien ne justifiait. N'étaient-ce pas d'anciens esclaves, disaient-ils avec mépris, confondant esclavage domestique et esclavage de traite ? Une telle conviction me paraissant simpliste, je préférais me persuader qu'ils ne les comprenaient pas, trouvant offensante leur involontaire occidentalisation. Quant aux Antillais, l'Afrique était un mystérieux 'background' qui leur faisait peur et qu'ils n'osaient pas déchiffrer. (p. 49)
Moi, je commençais de détester ce mot "intégrer". Toute mon enfance, j'avais été intégrée sans l'avoir choisi, par la seule volonté de mes parents, aux valeurs françaises, aux valeurs occidentales. Il avait fallu ma découverte d'Aimé Césaire et de la Négritude pour au moins connaître mon origine et prendre certaines distances avec mon héritage colonial. A présent, que voulait-on de moi ? Que j'adopte entièrement la culture de l'Afrique ? (p. 101-102)
Tu philosophes trop, se plaignait-elle, tu fais trop de réflexions personnelles. Ce qu’on te demande, c’est de raconter ! Un point, c’est tout !
Ce fut la dernière foisvque je pleurai à cause d' un homme. Bientôt des préoccupations d'une nature totalement différente allaient m'investir.
Les lecteurs me demandent souvent pourquoi mes romans sont remplis de mères qui considèrent leurs enfants comme des poids trop lourds à porter, d'enfants qui souffrent d'être mal aimés et se replient sur eux-mêmes. C'est que je parle d'expérience. J'aimais profondément mon fils. Cependant, non seulement sa venue avait détruit les espoirs qui faisaient la base de mon éducation, mais j'étais incapable de subvenir à ses besoins. En fin de compte, mon comportement à son égard pouvait sembler celui d'une mauvaise mère. (p. 29-30)
Je n’étais pas seulement orpheline ; j’étais apatride, une SDF sans terre d’origine, ni lieu d’appartenance. En même temps, cependant, j’éprouvais une impression de libération qui n’était pas entièrement désagréable : celle d’être désormais à l’abris de tous jugements.
Moi, je ne haïssais pas l'Afrique. Je savais à présent qu'elle ne m'accepterait jamais telle que j'étais. Cependant, je ne la rendais nullement responsable de mes difficultés, conséquences de mes décisions personnelles. Ce qui me torturait, c'est que je n'arrivais pas à la cerner avec précision. Trop d'images contradictoires se superposaient. On ne savait laquelle privilégier : celle complexe et sans rides des ethnologues. Celle spiritualisée à outrance de la Négritude. Celle de mes amis révolutionnaires, souffrante et opprimée. Celle de Sékou Touré et de sa clique, proie juteuse à dépecer. (p. 144-145)