Sam et Sandrine se sont rencontrés durant leurs études, au moment où le champ des possibles déploie son horizon illimité devant la jeunesse avide de se réaliser. Elle rêve d'ouvrir une école, il est sûr d'écrire un grand roman. Jeunes mariés, ils se rendent en voyage de noces en Europe, en Italie, en France où ils passent une journée à Albi, qui se révélera essentielle dans la compréhension de l'intrigue.
Que s'est-il passé après ce démarrage tonitruant, amoureux et enthousiaste de leur vie commune ? Ils échouent à Coburn (Géorgie), petite ville à la mentalité étriquée, infectée par le poids des conventions, endormie, pour devenir professeur de littérature américaine et anglaise en ce qui concerne Sam et professeur d'histoire en ce qui concerne Sandrine. La communauté les considère comme des privilégiés : “A leurs yeux, j'étais un homme ayant une très bonne situation, à peine pouvait-on parler de travail entre les vacances d'été, les congés sabbatiques rémunérés et toutes les fêtes religieuses que connaît l'humanité. J'étais professeur titulaire, ce qui pour la population de Coburn était le ticket gagnant pour une retraite dorée. Je ne pouvais même pas être licencié” (p.37). “N'était-ce pas justement des enseignants beaux parleurs comme moi qui farcissaient le crâne de leurs enfants d'athéisme, de socialisme ou pire, insufflaient dans leurs jeunes esprits jusqu'alors sans souillure, des rêves fumeux tels que changer le monde ou écrire un grand roman, sans pour autant leur transmettre une seule compétence qui leur permettrait plus tard de trouver un emploi, leur évitant ainsi de retourner vivre chez leurs parents pour rester assis, l'air maussade, devant la télévision, bouillant d'espoirs irréalisables ?” (p.31)
Il faut dire que Sam et Sandrine font ce qu'il faut pour se rendre odieux : pédants, condescendants, méprisants. Ils vivent en vase clos, uniquement nourris de textes anciens dont ils s'adressent des citations comme autant d'énigmes à résoudre, comme autant de preuves de leurs cerveaux sur-dimensionnés, supérieurs. La conversation la plus banale chez eux tourne autour des Athéniens ou des Spartiates. Ils passent leur temps à lire dans ce qu'ils ont pompeusement baptisé “le scriptorium”, et lorsque Alexandria (surtout pas Ali, trop vulgaire), envisage de devenir fleuriste, Sam se garde bien de l'encourager, considérant ce métier dans lequel se serait épanouie sa fille unique comme méprisable.
Mais les aléas de la vie se chargent quelquefois de rattraper ceux qui se prennent pour de purs esprits. Peu de temps après que Sandrine se découvre, via un diagnostic médical, atteinte de la maladie de Charcot, elle est retrouvée morte dans son lit, victime d'un cocktail létal de Demerol et de Vodka, ayant laissé auprès d'elle un mot abscons évoquant Cléopâtre. Pour Sandrine, “Cléopâtre symbolise peut-être avant tout une vie qui s'est perdue dans le temps, les travaux de ses chroniqueurs ayant été détruits par le feu ou par l'eau, elle-même n'ayant pas écrit ses mémoires, une femme dont il ne reste presque rien sinon un portrait – seulement un portrait imaginaire – frappé sur des pièces anciennes.” (p. 219).
Suicide ? Oui mais... Non mais... Sam est suspecté de son meurtre ou suicide assisté, et voilà que commence le roman, construit comme une machine de guerre qui va dynamiter le lecteur, victime de son intensité. 10 jours de procès qui composent les dix parties du récit. Que ceux qui n'apprécient guère les romans de procédure judiciaire américaine, dont le sens échappe à bon nombre d'européens, ne s'inquiètent pas. Car ces 10 jours ne sont qu'un prétexte pour permettre à Sam, au fil des témoignages, de mentalement s'échapper, de sortir de son corps, pour se remémorer son histoire d'amour avec Sandrine. Il remonte aux origines. Lui, insensible, distant, pratiquement sans affect, plonge dans son passé pour tenter de comprendre comment et pourquoi il est dans le box des accusés.
Il est inutile de dire un mot sur le style, l'originalité, la puissance et l'intelligence des intrigues de
Thomas H. Cook qui révèle en outre dans “
Le dernier message de Sandrine Madison”, une culture littéraire impressionnante, puisque je veux croire que tout le monde est déjà au courant de ses qualités. Après avoir lu cette magnifique histoire, vous vous demanderez peut-être, comme moi : “Mais qu'ai-je fait de ma vie ?”. “Est-elle bien en conformité avec ce que j'ai rêvé ?”