L'amour pour nos enfants est-il toujours inconditionnel ?
"C'est bien ça l'amour filial, non ? Aimer des enfants que, sinon, on n'aimerait pas."
Et si votre fils ne correspondait en rien à vos aspirations ?
S'il était réservé, effacé, comme totalement dépourvu d'émotions ?
S'il vous était au fond si étranger que vous ne savez même plus ce que vous devez croire le jour où différents indices semblent l'accuser de la
disparition d'une petite fille ?
"J'ai l'impression que toutes les pistes convergent vers lui."
Que feriez-vous sans certitudes ?
Rongé par le doute ?
Assis à une table de restaurant un matin pluvieux d'automne, attendant un mystérieux visiteur, Eric Moore se souvient.
De la façon dont sa famille a volé en éclats.
Il tenait alors, des années plus tôt, une petite boutique de photographies.
Il développait et encadrait des clichés représentant des moments souvent parfaits.
Avec son épouse Meredith et leur fils Keith, ils formaient encore, à l'image de ces clichés, une famille heureuse, idéale.
Jusqu'au jour où tout a basculé.
Ce soir-là Keith a joué les baby-sitter chez un couple d'amis, les Giordino. Il a gardé Amy, leur petite fille de huit ans.
La fillette disparaîtra ce même soir, et bientôt tous les soupçons convergeront vers un seul suspect : Keith.
Qu'il s'agisse des parents d'Amy, de la police, ou même bientôt d'Eric, son propre père ... l'identité du responsable est quasiment certaine.
Une
disparition de petite fille, un sujet qui paraît déjà vu et revu et pourtant non, jamais sous cet angle.
Le roman de
Thomas H. Cook ne se focalise ni sur la
disparition, ni sur l'enquête menée par deux policiers. le sujet du livre c'est l'impact de cet évènement troublant la tranquillité de la petite commune de Wesley, et la façon dont les suspicions vont s'abattre et déformer les fondations même de l'existence d'Eric.
Un impact insidieux, d'autant plus destructeur que la défense du jeune Keith n'est ni crédible, ni véhémente.
Parce que si la famille fait appel à un avocat pour maîtriser la situation et défendre leur fils, elle est cependant incapable de faire front commun contre cette soudaine adversité.
"On croirait que, tous les deux, vous me croyez coupable."
Eric ne sait pas réellement de quoi son fils est capable, il s'aperçoit qu'il ne le connaît pas vraiment, qu'ils n'ont aucune complicité.
"Il avait toujours été un enfant timide, maladroit et réservé, et évitant tout contact physique."
"Je détestais sa façon de traîner les pieds, ses cheveux sales, son absence d'énergie."
Keith, du haut de ses quinze ans, n'est pas un adolescent comme les autres. Force est de constater que son père aurait aimé qu'il soit différent. Il n'a ni amis ni copine, il a des difficultés à l'école et aucune ambition, peu de caractère et de personnalité.
Est-ce pour autant suffisant pour faire de lui un kidnappeur et peut-être même un violeur et un tueur d'enfant ?
Le corps d'Amy est introuvable.
Les rares réponses de son fils sur ce soir-là sont toujours évasives, et surtout, il semble dissimuler plusieurs secrets. Il fume en cachette. Il prétend être revenu seul alors que son père a entendu une voiture juste avant son retour. Et plus l'enquête avance, plus l'étau autour de lui se resserre.
Absolument tout paraît l'accuser.
Et même si Eric aimerait être persuadé que son fils est incapable d'un tel crime odieux, il ne peut en être sûr.
Alors le doute devient comme un poison, un acide.
Qualifié de thriller,
Les feuilles mortes est davantage un roman noir et dramatique. Riche en métaphores, il nous entraîne aux côtés de cette famille dont les repères viennent de s'effondrer et qui ne sait plus ce qu'elle doit croire.
"Mes soupçons, qui avaient commencé par une petite démangeaison, étaient maintenant un urticaire géant que je ne pouvais m'empêcher de gratter."
Des comparaisons sont faîtes avec une noyade, un incendie qui les consumerait. Ce qui illustre parfaitement leur sensation d'étouffement, comme s'ils se débattaient en vain dans un univers soudain hostile.
A se demander si le véritable drame, c'est la
disparition de la fillette ou le sort de la famille Moore.
"Quoiqu'il arrive, il faut qu'on sorte indemnes de cette épreuve."
Mais ils ne seront pas épargnés.
La réalité s'est fissurée.
"J'eus l'impression que les ennuis s'étaient abattus sur ma famille comme un nuage de cendre qui aurait teinté nos visages de gris."
A défaut de pouvoir affronter l'éventuelle culpabilité de son fils, il va tenter de résoudre d'autres mystères, des secrets de famille tout aussi venimeux comme celui de la mort accidentelle de sa mère. Il va également se poser de plus en plus de questions sur son frère, et même sur son épouse.
"Comparés aux miens, les problèmes des autres familles m'apparaissaient très ordinaires."
Et parce que la solution à chacun de ces mystères est rarement celle qui saute aux yeux, il continuera à s'enfoncer dans des sables mouvants.
Sans plus pouvoir faire confiance à personne.
Totalement seul.
"Je sus que je faisais partie de ces parents prêts à tout pour épargner leur enfant."
Le roman est absolument terrible, voire asphyxiant. Si Keith est effectivement coupable, alors il est déjà difficile de se mettre dans la peau de ses parents, de se demander s'ils ont une part de responsabilités, et ce qu'il conviendrait de faire : Protéger leur fils ou lui faire avouer ses crimes et le laisser prendre ses responsabilités ?
Mais s'il est innocent alors ce serait pire encore parce que cette tourmente dans laquelle est empêtrée la famille Moore ne serait plus alors qu'un gigantesque malentendu.
Le calvaire enduré serait alors gratuit.
Jusqu'à une issue forcément dramatique.
"Vous ne pouvez pas les ramener à la vie, vous ne pouvez pas tout effacer."
Par certains aspects, ma lecture m'a fait penser à des romans comme
Il faut qu'on parle de Kevin de
Lionel Shriver ou Cet été-là de Lee Martin.
Au premier à cause de cette narration d'un père ignorant si son fils est capable du pire et énonçant comment sa famille a été brisée, au second en raison de la
disparition d'une fillette et de l'ambiguïté de certains personnages qui m'ont fait penser à l'énigmatique monsieur Dees.
Mais bien sûr,
les feuilles mortes demeure unique en son genre puisque écrit avec la talentueuse plume de
Thomas H. Cook.
Si vous souhaitez savoir ce qui est arrivé à la petite Amy, si vous voulez connaître l'implication de Keith dans sa
disparition, alors laissez vous consumer à votre tour par cette histoire.
A l'image des feuilles qui s'envolent et dénudent les arbres à l'automne, vous verrez comment en quinze jours seulement des certitudes peuvent basculer, des vies entières être gâchées.
Un thème très sombre pour une une histoire dont l'issue n'est pas forcément dépourvue de la moindre lueur.
Mais dont on ne ressort pas tout à fait indemne.