Elle sentit monter en elle une vague de panique. Elle était entre les mains d'un cinglé. Elle tenta de se dégager de l'étreinte de son agresseur, mais celui-ci était plus fort qu'elle. Alors elle n'hésita plus une seconde.
Son corps s'illumina puissamment, la lumière traversant ses vêtements, aveuglant l'individu qui la lâcha instinctivement. Elle fit quelques pas pour s'éloigner de celui-ci et monta les mains au niveau du visage de ce dernier. Puis elle hurla.
Devant elle se tenait un être à la peau écailleuse, les yeux verts fendus de deux lignes noires verticales. Ses traits étaient presque humains, si ce n'est cette collerette qui entourait son crâne chauve, tel un cobra. Pour confirmer ses doutes, il laissa passer à travers ses lèvres une langue en pointe séparée en deux. Jamais elle n'avait vu une créature aussi monstrueuse, jamais elle n'aurait cru que cela était possible. Mais elle existait bien, elle, avec ses pouvoirs, alors pourquoi pas cette horreur ?
Elle hurla de nouveau en fixant la chimère, et constata qu'il se dressait sur un corps filiforme. Il n'avait pas de jambes, et se tenait devant elle, sorte de serpent géant au visage presque humain.
— Ssssseule ? répéta-t-il en s'approchant d'elle.
Elle laissa tomber le sac de hamburgers au sol, tandis qu'elle augmentait l'intensité lumineuse de son corps. Cela ne semblait pas ralentir le monstre qui continuait à s'approcher d'elle. Puis ce dernier la fixa, alors que sa collerette s'écartait, entourant sa tête qui n'en devenait que plus terrifiante.
Ce fut à ce moment qu'elle l'entendit. Ce son de hochet que l'on remue. Un peu comme un grelot silencieux que l'on agiterait rapidement. Puis elle fit le lien. L'homme serpent, le bruit... comme la queue d'un crotale s'apprêtant à bondir. Elle monta encore la luminosité de son corps, et vit l'être difforme reculer un peu. La lumière était trop puissante pour lui. Elle ne pouvait pas l'affronter. Elle devait garder la même force, continuer à l'aveugler. Elle releva la tête et fixa son assaillant. Celui-ci ne la lâchait pas des yeux, il se tenait bien droit en face d'elle, même s'il avait reculé un peu. Puis elle sentit dans son esprit que quelque chose n'allait pas. Elle ne pouvait détacher son regard de celui de la créature. Que se passait-il ? Pourquoi se sentait-elle soudainement si lasse ? Se pouvait-il qu'il prenne le contrôle sur elle ? Elle devait se battre, ne pas se laisser aller.
Augmenter encore la puissance. Encore un peu.
La luminosité passa d'un jaune pâle au blanc. Tout son corps émettait maintenant une lumière qui devait se voir à des kilomètres. Heureusement, elle se trouvait dans une ruelle, et aucune fenêtre ne donnait sur le passage. L'homme serpent recula à nouveau. C'était trop pour lui.
Elle fit encore un dernier effort et se mit à hurler alors qu'elle projetait toute l'énergie contenue en elle aux alentours. La lumière était aveuglante, et le cri qu'elle poussa semblait se mêler à cette dernière pour en multiplier la puissance. Dans un autre hurlement, elle atteignit ses dernières limites. Des étincelles jaillirent de ses doigts, puis de ses yeux. Le monstre recula de nouveau et détourna le regard.
Puis elle s'embrasa, inondant la ruelle d'un flot d'énergie pure. Son corps éclaira le quartier, libérant une quantité phénoménale de son pouvoir, ne pouvant par lui-même stopper cet incendie lumineux qui envahissait la ville. Puis, comme une torche qui arrive soudainement au bout de son combustible, elle s'éteignit et disparut dans les airs, ne laissant que quelques lucioles jaunes qui s'éparpillèrent dans le ciel.
— Merde, balança alors laconiquement l'homme serpent en glissant sur le sol.
Le plus nerveux des scientifiques se leva alors d'un seul coup. Il se précipita vers l'adolescent, au sol, tandis que ses trois derniers doubles continuaient à tournoyer autour d'eux, créant une diversion qui ne servait plus à grand chose. Il se pencha et, difficilement, prit le jeune homme inconscient dans ses bras. Il se releva et s'éloigna de la scène. Cela eut pour effet de faire disparaître les autres versions de Jonathan, qui émit un grognement de douleur lorsqu'il se sentit bringuebalé à gauche et à droite
— Tiffany ! Viens, on file ! ordonna-t-il à la jeune fille, toujours étendue au sol.
Celle-ci n'attendit pas les autres et se remit debout. Le deuxième scientifique les avait rejoints. Ils s'éloignèrent aussi rapidement que possible, alors que le crépitements des balles résonnait dans leurs dos. Puis des hurlements leur parvinrent. Ils surent que c'en était fini pour les militaires lorsque le bruit de la fusillade retomba soudainement.
Ils pressèrent le pas, conscients de la nécessité de s'éloigner des trois créatures, et aperçurent au loin le portail cerclé de rouge. Ils traversèrent le champ violacé, en accélérant. Le premier scientifique qui portait Jonathan semblait rompu à la course à pied, mais Tiffany avait du mal à le suivre. Derrière elle, le dernier homme fermait la marche.
Un cri retentit alors qu'ils étaient proches de la porte. La jeune fille se retourna. Elle aperçut une nuée de taches violettes qui s'envolaient autour d'eux. Elles s'étaient déjà agglutinées autour du scientifique qui se débattait comme un beau diable, essayant de chasser l'essaim qui se concentrait sur lui. Hurlant de douleur, il s'effondra au sol dans des gestes saccadés.
Le premier homme passa le sas, portant toujours Jonathan qui délirait. Il le déposa immédiatement sur le carrelage de la pièce et se retourna vers la gamine, qui courait pour les rejoindre. Mais les particules colorées furent les plus rapides, elles commencèrent à entourer la gamine qui se débattait.
Instantanément, dans un réflexe de survie, elle se transforma en une colonne d'eau, intangible. Sous cette forme, les petites taches violacées ne faisaient que la traverser, et elle put se calmer lentement, constatant que ces dernières ne pouvaient rien lui faire tant qu'elle restait liquide. Au bout d'une minute ou deux, elle fut délaissée par les particules qui repartirent se poser dans le pré d'herbes hautes. Alors, lentement, elle approcha du cercle, toujours flamboyant, et le passa sans encombre, avant de s'effondrer au sol une fois arrivée de l'autre côté.
Le passage se referma derrière elle, abandonnant les cadavres de leurs compagnons dans cet autre univers.