Vous êtes arrivés au Paradis.
C'est une pancarte anonyme à l'entrée d'une petite ferme qui vous le dit.
Le Paradis, domaine d'Émilienne, vieille campagnarde entêtée et robuste au coeur de roc et d'amour.
Avec elle, ses deux petits-enfants : Blanche et Gabriel, deux petits anges orphelins dont la vie a pris un drôle de virage, un virage mortel qui leur a coûté leurs deux parents, Marianne et Etienne.
Parmi cette famille rapiécée, un autre petit garçon, Louis, gamin du cru battu par son père et qui, un jour passé, s'est enfui de chez lui pour trouver l'amour adoptif d'Émilienne. Commis depuis, Louis rêve d'une autre belle rencontre dans sa vie : celle de Blanche, pourtant incapable de le voir comme elle voit Alexandre, un garçon futé à qui l'on donnerait le bon Dieu sans confession.
C'est dans ce cadre campagnard, quelque part en France à une époque où le goudron ne bouffait pas encore étangs et prés, que Blanche va devenir une femme et où
Cécile Coulon, jeune prodige de la littérature française, déjà acclamée pour son précédent roman
Trois Saisons d'Orage et son recueil de poésie
Les Ronces, choisit de poser sa plume pour une tragédie Shakespearienne à la campagne.
Tout est banal dans
Une Bête au Paradis.
Une campagne française comme tant d'autres, une fermière que rien n'ébranle ou presque, une gamine brillante qui accouche d'un trio amoureux sans le vouloir, un garçon qu'on n'oublie, un drame que l'on sent venir.
Oui, tout est banal dans
Une Bête au Paradis…et rien ne l'est.
En 340 pages,
Cécile Coulon s'empare de la vie quotidienne d'une famille de la campagne pour en faire un drame où amours, fêlures, secrets et fantômes se tirent la bourre.
Ses personnages, eux, pourraient être banals également mais ils ont le bon goût de ne jamais l'être, incarnés par le talent d'une autrice sensible et frontale à la fois, ne reculant devant aucun sentiment, aucune tristesse.
Il y a d'abord Blanche, orpheline qui aime Sa ferme comme on aime Sa terre natale, incapable de la quitter même quand on la sait maudite. Cette terre qui ronge et qui prend aux tripes.
Il y a Émilienne ensuite, vieille fermière qui doit savoir être mère et père, acier et soie, amour et colère, pour élever et faire mûrir ces trois enfants dont elle reçoit la charge.
Il y a Louis enfin, rongé par la violence qui l'a forgée bien malgré lui, qui l'a poussée sur les routes et qui finit toujours par le rattraper. Ce petit garçon devenu un homme cherchant toujours une famille, Sa famille, et qui, parfois, rêve trop loin, trop fort pour lui, le petit commis.
On pourrait ajouter Alexandre à ce trio déjà formidable, ou encore Gabriel, l'autre orphelin à la vie discrète et qui n'était pas fait pour vivre au Paradis dès le départ. Car les Élus semblent bien rares, tous enfants de souffrance et de fantômes bruyants.
Ces personnages,
Cécile Coulon pourrait nous les tailler à la serpe, brutalement, sèchement. Mais elle préfère la glaise, la terre humide de la campagne pour les sculpter patiemment, en saisir les émotions les plus intimes, des frustrations aux vilains désirs, des amours brisés à ceux qui ne le seront jamais faute de commencer.
Une Bête au Paradis parvient alors à saisir les malheurs de petites gens qui vivent loin de la ville, de cette époque qui semblait encore pouvoir respirer loin de la convoitise et où le jour du Marché était toujours celui des sourires et des bavardages.
Avant le retour des enfants déchus, les pourris par la Ville qui n'ont plus que l'argent et le profit à l'esprit, incapables de comprendre que pour rendre fiers leurs parents, il ne suffit pas d'amasser des terres et des biens.
Mais ce qui fait la différence dans cette histoire familiale, c'est le style de
Cécile Coulon, véritable surdouée de l'écriture qui capte malheur, joie, espoir, apaisement, ardeurs, saveurs et chaleurs dans un mouvement ample de sa plume déliée et volage. Pour aligner ses mots, la française procède de la même façon que pour sculpter ses personnages : elle utilise le banal et l'ordinaire pour le sublimer et faire de chaque phrase, même la plus anodine, un rouage dans une machine parfaitement huilée.
Le résultat ?
Une merveille d'écriture qui glisse sur la langue comme sur la page, qui atteint le lecteur en plein coeur et rassemble les morceaux de la vie de Blanche en lettres brûlantes. Des espoirs aux cauchemars, du labeur à l'horreur.
Une Bête au Paradis raconte une histoire de la campagne en faisant ressortir le meilleur et le pire de ses personnages, comme dans la Vraie Vie, celle qui nous tend les bras au Paradis.
C'est un arbre terrible qui pousse lentement au coeur de la famille Émard, celui de la tristesse et du destin qui, petit à petit, se mue en vengeance et en revanche.
Une Bête au Paradis tord le cou au banal pour en tirer un drame et des histoires tout sauf ordinaires, sublimés par l'écriture divine d'une
Cécile Coulon qui semble bel et bien toucher le Paradis du doigt (et de la plume).
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