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Critique de nilebeh


Ce court roman de Chantal Creusot est une sorte d'étude des formes que peut prendre la passion et de ses effets sur le comportement humain. L'auteure, décédée en 2009 après n'avoir écrit que ce livre, examine la naissance de l'amour, son évolution jusqu'à la plénitude, son inévitable érosion jusqu'à l'indifférence, au mieux, ou à la haine.

Les personnages les mieux évoqués sont féminins :
Il y a la vieille fermière qui a embauché Marie comme servante. Elle finit par prendre sous son aile cette jeune fille un peu simple et taciturne, devenue mère après avoir « fait une promenade dans le bois » avec un soldat allemand. Elle la défendra quand on viendra la tondre. Et sera désespérée de sa mort brutale.

Il y a aussi Solange, amoureuse de Simon, tandis que sa soeur Michelle milite au parti communiste. Passionnés, emportés et heureux, Solange et Simon feront l'amère expérience du désamour, inéluctable.

Il y a Marianne Vuillard, jeune fille qui cherche tous les moyens de défier son père, dans un vague relent oedipien,

Les visages d'hommes ne manquent pas non plus d'intérêt : le résistant Simon, amoureux déçu quasiment dès le mariage, Camille, qui aurait bien voulu être le nouveau compagnon de l'énigmatique Marie

Situé en Normandie dans l'immédiat avant et après-guerre, ce livre n'est pas sans évoquer les langueurs du bovarisme, le pittoresque des évocations de la société vue par Balzac voire, pour ce qui concerne Marie, certaines pages De Maupassant. Difficile comparaison, que Chantal Creusot peut se flatter de soutenir grâce à la fermeté de son écriture et à la richesse de ses évocations psychologiques.

Critique:

« Mai en automne » est une sorte de reconstitution des moeurs de la société normande de l'immédiat avant à l'immédiat après-guerre. La bonne bourgeoisie faite d'avocats, médecins, procureur, se rencontre lors de « dîners » où se nouent des intrigues sentimentales. En règle générale, les épouses sont mornes et vieillies prématurément, trompées – en le sachant obscurément- par des époux ennuyés à la recherche d'un ailleurs mal défini. le désamour est là, sans aboutir à la rupture qui au moins mettrait un peu de vie dans ces existences moroses. Car ce qui ressort de ces scènes de la vie de province, c'est bien l'ennui. Toute carrière accomplie, devoir conjugal rempli, mission de vertu et de dévouement à la famille exécutée par les femmes, que reste-t-il ?
La chair est triste et pas le moindre sourire ne vient égayer les rencontres furtives, les retrouvailles tardives après les blessures de la vie.

Qui parle de passion dans ce livre ? Personne. La gamme des émotions et sentiments en demi-teinte est jouée sans jamais parvenir aux accords majeurs de la vraie passion, celle qui dévaste et enchante, celle qui pousse aux pires imprudences. Tous ces notables sont d'une prudence et d'un conservatisme de notaire de province... Tous, sauf deux : Marianne, fille du docteur Vuillard, qui vit une passion secrète et presque incestueuse pour son père qu'elle accompagnera jusqu'à la fin. Sauf aussi, de façon plus saine, Hélène, épouse d'un procureur bien compréhensif, passion devenue amour et tendresse pour le même docteur Vuillard devenu vieux.

La mort s'invite au fil du roman, sans jamais dévaster vraiment ceux qui doivent affronter le deuil. Après un moment de sidération, chacun, chacune reprend sa place dans « le monde », jusqu'à réaliser un rêve d'adolescente quand il s'agit de Lucile, veuve du docteur, qui sort de son enfermement psychologique pour parcourir le monde et, peut-être, découvrir un sentiment partagé. Finalement, seule la fermière semble ensuite être habitée par le chagrin après la mort de sa servante Marie dont elle recueille le fils. Et seul son fils Camille semble vraiment fou d'amour pour cette même étrange Marie. Les grandes émotions seraient-elles l'apanage des pauvres ?

le monde de Chantal Creusot n'est pas gai, teinté d'un romantisme triste qui évoque bien sûr Flaubert et Balzac, voire Maupassant pour ce qui concerne les personnages de servantes et de paysans, la truculence en moins. le passé n'est pas gai, l'avenir n'augure rien de meilleur quand on voit qu'Eric, petit garçon de six ans, pour se faire accepter d'une bande de galopins (qui savent rire, tiens, ceux-là!) est prêt à jouer le rôle du pendu dans un jeu, allant même jusqu'à leur fournir la corde !

D'une écriture presque neutre à force de retenue (on lirait certains passages à voix haute d'une voix blanche, comme certaines voix off du cinéma de la Nouvelle vague), ce « Mai en automne » aurait aussi bien pu s'intituler « Les désenchantés » Jusqu'aux ciels de Normandie qui ne parviennent jamais à vibrer d'un peu de lumière et de couleur ! Même la mer semble immobile !

Un livre intéressant et doux, délicat et fragile comme une aquarelle. A ne pas lire tout de même un jour de morosité...

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