Le projet de l'auteure chinoise de bande dessinée
Xia Da est séduisant : raconter à travers une histoire de vengeance l'Histoire de la naissance et du développement de la Dynastie Tang ! Et pour ce faire, elle s'insère dans les interstices de l'Histoire de la Chine pour donner vie à ses oubliés pour mieux battre en brèche ses célébrités. Ici on démonte la légende dorée de l'empereur Taizong, sans doute pour démonter plus tard la légende noire de l'impératrice Wu Zetian… Car c'est le paradoxe de la très machiste civilisation chinoise : c'est aux femmes qu'elle doit sa plus belle époque !
Bref, ici l'histoire est au service de l'Histoire et c'est donc tout naturellement que Xia Da, nourrie aux oeuvres des grandes mangaka des années 1970, nous livre un beau shojo historique. La forte héroïne adolescente est plus qu'un effet de mode, c'est le reflet d'une époque : les femmes modernes s'attaquent, parfois avec bien de peu de moyens, aux derniers bastions de la phallocratie (ici l'imaginaire collectif). Sa princesse vagabonde est bien plus qu'une énième princesse rebelle… C'est seule contre tous qu'elle s'est jurée de venger une famille qu'au finale elle a bien peu connue ! En pleine crise identité, c'est entre le souvenir d'un père han charismatique mais égoïste et celui d'une mère ouïgoure aimante mais distante, que la princesse Yongning / Li Changge essaie de se reconstruire… Et pour accomplir sa quête de vengeance, elle épouse volontiers son côté sombre car elle est rusée, manipulatrice et impitoyable quand le besoin s'en fait sentir !
Graphiquement, la jeune bande dessinée chinoise a bien du mal à s'émanciper des influences mangas et/ou comics (qu'elle assume d'ailleurs totalement au demeurant). Mais force est de constater que Xia Da maîtrise son sujet : arrière-plans superbes, découpage travaillé, charadesign soigné… mais un peu fluctuant, certains personnages donnant dans le réalisme, d'autres dans le simplisme tandis que de tant à autres j'ai eu l'impression qu'on s'inspirait des dessinateurs coréens… Qu'importe, l'ensemble est de qualité et on est transporté dans la Chine d'une autre époque !
Dans ce tome 6, la princesse vagabonde est en convalescence au temple taoïste Liu Yun, situé près de la grande cité de Luoyang…
Ses alliés hans et turcs sont toujours à sa recherche, et les premiers apprennent aux seconds que leur petit conseiller en stratégie est une fille… Asahina Sun est complètement troublé par cette révélation : shojo power ! Il se déguise en han pour poursuivre les recherches en terres chinoises, mais il doit convaincre à la force de ses poings les cavaliers légendaires de Yanyun que sa cause est noble !
La prêtresse Jing Dan essaye de secourir Li Changge / Yongning en apportant une aide matérielle à celle qui est de plus en plus affaiblie par la maladie, et une aide spirituelle à celle qui est de plus en plus affaiblie par sa crise existentielle. La princesse vagabonde passe ainsi beaucoup de temps avec les refugiés recueillis par la mère abbesse, et finit par découvrir au contact du petit peuple qu'un bon dirigeant ne doit pas seulement être expert en intrigues et en stratégies, mais aussi en travaux des champs pour éloigner des paysans la misère, la famine et les épidémies. Gouverner un peuple c'est d'abord et surtout prendre soin de son peuple, et non jouer aux games of thrones : ceci est un message à caractère informatif pour l'ensemble des politiciens du monde entier.
Parmi les employés de la capitale qui gravitent autour de la cité de Luoyang et du temple de Liu Yun, certains reconnaissent notre héroïne : certains veulent la dénoncer, d'autres veulent la protéger, et un maître assassin beau gosse veut même faire d'elle son apprentie (entre le repos préconisé par le médecin et l'exercice exigé par l'assassin, notre héroïne ne sait plus à quel saint se vouer ^^)… Mais tous les regards sont finalement tournés vers la mystérieuse et criminelle compagnie marchande de la Salamandre Rouge, qui semble avoir un compte à régler avec le temple Lui Yun et la prêtresse Jing Dan !
Convois marchands, chevaliers errants, maîtres assassins… Nous somme bel et bien dans le monde merveilleux du Wu Xia (cad l'équivalent chinois de notre bon vieux cape et épée ^^), mais aussi dans un tome de transition plutôt contemplatif dans lequel les personnages se multiplient sans que l'intrigue n'avance vraiment pour autant.
Mais ce qui m'a fait enlever 1 étoile, c'est un affreux défaut d'impression : réaliser un joli livre-objet d'une aussi belle oeuvre avec une aussi mauvaise qualité d'impression c'est nul… Les pages sont tellement fines qu'on voit tout par transparence : quand c'est les gris qui prédominent on fait avec, mais quand c'est le blanc qui prédomine ça gâche tout… Bâcler son travail d'éditeur à ce point, ce n'est professionnel du tout : hé messieurs, il faut jeter un oeil au produit fini hein !