Antonio Da Silva nous invite à un voyage particulièrement original avec
Azul :
- Un voyage artistique, au travers de grands chefs d'oeuvre de la peinture ;
- Un voyage géographique, mêlant les cultures, du Portugal jusqu'en Angleterre ;
- Un voyage initiatique, Miguel se découvrant lui-même ;
- Un voyage bousculant la frontière du réel…
Miguel est l'un des enfants recueilli par la pensao de Maria, à Lisbonne. Il se découvre un don extraordinaire : il sait voyager à l'intérieur des tableaux. S'il s'habitue à y rencontrer des personnages de peinture, il ne s'attend pas à y trouver un jour une voyageuse, April, qui, comme lui, est faite de chair et de sang.
Les deux adolescents se lient d'amour, mais leur quotidien déraille avec l'arrivée impromptue d'un homme dans les tableaux de la Protection des Oeuvres…
• L'univers : de Brueghel à
Van Gogh, de Hokusai à Monet, de Velasquez à Renoir… Quel merveilleux voyage !!
Les aventures de Miguel sont l'occasion de (re)découvrir des oeuvres d'une manière très originale. Un coup d'oeil sur google image permet de s'imaginer parfaitement les pérégrinations de notre protagoniste.
Le développement du hors champ est particulièrement intéressant :
le hors champ recèle de surprises et de dangers, il représente l'inconscient du peintre, ses obsessions les plus secrètes… .
Cela permet à l'auteur de glisser ça et là des anecdotes sur les peintres :
ainsi, par exemple, Miguel découvre dans un tableau de van Gogh, une prostituée solidement accrochée à un coffre. Elle montre son contenu à Miguel : s'y trouve une oreille coupée, sanguinolente…
Bien que le roman soit ancré dans l'imaginaire, l'auteur joue à plusieurs reprises avec la frontière du fantastique :
Quand Miguel voyage dans les tableaux, il dort dans le monde réel. Ainsi, pour son amie Amalia, c'est évident : ce ne sont que des rêves. de même, dans le dernier tiers du roman, Miguel se demande s'il n'est pas tout simplement fou.
La relation entre Miguel et les tableaux :
Miguel aime à se penser réparateur des « erreurs » des peintres, « perfectionneur » des oeuvres. Afin de mener à bien cette tâche, il s'initie à toute sorte de métiers : maçon, charpentier, vétérinaire, médecin, maquilleur… Pour ses besoins, il emmène avec lui certains objets du monde réel. Afin de respecter l'oeuvre, les objets modernes sont systématiquement transformés. Par exemple, le scotch devient ficelle ; la barre de chocolat devient saucisse ! de même, Miguel voit ses vêtements changés selon l'époque et la mode du tableau. L'immersion est totale !
• La romance ?
Vers le milieu du roman, j'ai eu peur que l'intrigue ne se focalise sur la romance « impossible » entre Miguel, portugais, et April, anglaise – qui se donnent rendez-vous dans les tableaux. Il n'en est rien !
Miguel est fou d'April. Il est envoûté par sa beauté, désarçonné par son caractère provocateur. April semble connaître bien mieux que lui l'univers des tableaux, y entre et y sort avec facilité, se grime à sa guise, se dissimulant à merveille dans l'oeuvre.
Mais qui est April ? Si Miguel se prétend « perfectionneur de tableaux » ; April aime à se dire « muse des peintres » ! Elle s'immisce dans leurs pensées et les inspire leurs plus grands chefs-d'oeuvre.
Miguel et April deviennent amants. Miguel se trouve, donc, désespéré lorsqu'April ne se trouve pas au rendez-vous. Il se doute que son absence a un rapport avec l'homme de la Protection des Oeuvres…
• L'intrigue
Miguel vit à Lisbonne, avec d'autres enfants recueillis par Maria. Il est particulièrement proche d'Amalia, sa confidente. de terribles évènements se succèdent à Lisbonne : tremblements de terre puis inondations, meurtres inexpliqués… Que se passe-t-il ?
Ces évènements mystérieux sont concomitants avec la disparition d'April et les allers-venues de l'homme de la Protection des Oeuvres.
• Les révélations finales :
Tout ne prend sens qu'à la fin du roman.
L'auteur glisse des passages concernant Frankie Rio au fur et à mesure du roman. Frankie Rio est un peintre de grand talent, dont l'avenir semblait très prometteur alors qu'il étudiait aux Beaux-Arts. A cette époque, il était amoureux d'une étudiante, Evora. Mais hélas, ses provocations l'ont conduit à se faire renvoyer de l'Ecole.
Il rencontre Jane, une femme qui lui redonne goût à la vie, en l'entraînant dans les fêtes et l'alcool… Frankie choisit alors d'utiliser son talent afin de financer ce mode de vie, il produit et vend des contrefaçons de grands maîtres…
Troublantes similitudes ?!
Frankie Miguel Ribeiro a peint un tableau, intitulé Azul, sur une oeuvre originale de Picasso, la mère et l'Enfant. Ce tableau représente la pensao de Maria. Il s'inspire de son vécu, de ses rencontres, pour créer ses personnages… Miguel, c'est lui ; April représente Jane, « sa muse » ; quant à Amalia, c'est son véritable amour perdu, Evora.
Miguel et April ne sont, cependant, pas uniquement des êtres de peinture. Frankie et Jane leur ont donné un peu de leur sang, de leur personnalité, de leur âme. Cela explique le talent de Miguel qui peut façonner à sa guise les oeuvres : il en est le peintre. Il ne peut, en réalité, visiter que les contrefaçons créées par Frankie.
Frankie est emprisonné, il reçoit les visites de la policière Marie. Démasqué, son tableau sur Lisbonne est en cours de destruction : ils restaurent en effet l'oeuvre originale de Picasso. Les catastrophes naturelles ainsi que les meurtres, sont autant de coups portés à l'oeuvre par Lupin, le restaurateur, personnifié par l'homme de la Protection des Oeuvres qui les traquent…
La pensao et tous ses habitants sont, donc, voués à la destruction. Ils échappent in extremis à ce destin tragique par l'intervention d'une jeune fille, bouleversée par deux personnages qui s'embrassent en arrière plan (Miguel et Amalia), qui convint sa grand-mère, personnalité du musée, d'empêcher leur suppression.
Avec ces révélations finales, Antonio Da Silva fait coïncider les vies de Frankie et de Miguel. Miguel, comme Frankie, s'est égaré en suivant sa passion pour une femme égoïste et manipulatrice, April/Jane ; alors que son véritable amour est Amalia/Evora. Si Frankie semble voué à moisir en prison, seul ; Miguel est en revanche sauvé, et vit son amour au grand jour avec Amalia. April s'enfuit en avion. Lisbonne est ravagée, mais Miguel sait qu'il peut tout reconstruire.
En conclusion,
Azul est un livre atypique, plongeant le lecteur dans l'art et l'imaginaire. Les rebondissements sont rythmés, le livre prenant la forme d'une enquête/traque au travers de chefs-d'oeuvre de la peinture. le lecteur est tenu en haleine jusqu'au bout, le mystère ne se résolvant dans sa totalité qu'en fin de roman.