Chat Noir, tome 3 : Les sillons du Diable

Encore une fois, le loup à lunettes que je suis, se trouve sur le sillage du Chat Noir.

Et cette fois, le jeune Sasha prend la poudre d'escampette, abandonne sa ville de Deux-Brumes et sa future invasion de rats guerriers.

Le sort de Deux-Brumes est de ce fait inéluctable.


Non, je ris, chers lecteurs, je ris de mes dents de loup.

Il n'y aura pas désertion.

Sasha se rend effectivement vers l'extérieur, à Coronora par la voie des mers, mais c'est à la demande de son meilleur ami Cagouille. Il lui a écrit.


Un message écrit?

Parlons-nous bien de ce Cagouille tout crotté qui a séché tous les cours pour taquiner le poisson, m'interrogeriez-vous sceptique (sourcil levé, droite ou gauche au choix)?

Et bien oui.


Nous ne reviendrons pas sur les derniers événements du Tome 2 pour ne pas gâcher le suspens de sa lecture mais toutefois, ce que l'on peut dévoiler c'est que Cagouille dût bien, lui, en revanche fuir la terre de l'Archiduc de Motte-Brouillasse et le voici donc à présent à voyager sur les chemins avec l'allié du père de Sasha, celui au drôle d'accent.


De révélation en révélation, les plans du vil partenaire désargenté de Motte-Brouillasse, le Prince Viktar seigneur des Rats Ratakass, ont mis à jour un autre chemin qui mènera loin, loin vers la Reine du peuple elle-même.


La Reine.

Le Prince Viktar voit grand.

Et l'Archiduc de Motte-Brouillasse encore plus grand.

(Ils ont bien évidement des yeux d'une dimension ordinaire comme vous et moi, c'est une métaphore pour souligner leurs yeux plus gros que le ventre.

Cette histoire de ventre tout petit est aussi une métaphore, elle est amusante, alors vous me pardonnerez certainement).


Bref!

Bonne nouvelle!

Cagouille sait lire et écrire!

Et comme nous croyons fermement aux miracles des histoires, Sasha trouvera peut-être par la même occasion de quoi enrayer les ambitions du Prince Viktar, là-bas, à Coronora.

Vous le souhaiterez.



L'alchimie s'étant mêlé de l'aventure en renforçant ce dernier d'un drôle de maléfice, métamorphosant par ailleurs sa nouvelle épouse du même charme, Phélina (oui, celle-là), les forces d'opposition sont importantes, encore bien plus redoutables qu'un dressage de rats pourfendeurs.


Nous avons très tôt dans le tome 3 l'explication des fameux sillons du titre, ceux du "Diable", des traces de griffes creusées dans le paysage de la 1ère de couverture.

Cela ne gâche rien.

Yann Darko change son modus operandi, ce qui sous-entend qu'il réserve aux lecteurs des surprises plus étonnantes encore par la suite.

Et cela sera le cas, je vous le garantie.


Moi, chroniqueur, je me réjouis des partis pris de narration et d'écriture pour cette "chaventure" (drôle, non?).

Plutôt que d'opter pour une multiplication de péripéties livrées à la suite les unes des autres pour nous épater, Yann Darko se concentre, nous le vérifions sur trois tomes, sur le développement d'une ou deux situations seulement portées à notre attention, dangereuses ou palpitantes, de secrets et dissimulations.

L'auteur prend donc le temps de nous capter, nous intriguer, nous captiver.

Les éléments gagnés récompensant notre patience, notre franche adhésion, prennent toujours une habile importance dans le grand tout du futur plan des Ratakass.

C'est un puzzle qui s'assemble efficacement et dont la révélation des pièces est à chaque fois étonnante, évitant les grands rebondissements outranciers.


Le jeune public lecteur est vraiment bien considéré avec son exercice de style, il est soigné aux petits oignons (métaphore!), Yann Darko leur donne le goût des histoires d'aventure ménagées avec simplicité, suffisamment bien racontées avec peu d'effets.



La reine aura un service à demander au Chat Noir lui-même.

Quel honneur!

"- Et bien! Si tous les bandits du royaume vous ressemblaient, je ferais ouvrir les prisons!"



God Bless the Queen.

Après un second tome nettement au dessus du premier, le troisième met la barre encore plus haut, avant de malheureusement dégringoler pour nous offrir une fin vraiment expédiée... L'immense sentiment de gâchis qui m'a envahi.e au terme de la lecture est à la hauteur de la qualité de la série.

D'un bout à l'autre, Yann Darko aura su nous immerger dans son univers fantasy mais pas fantaisiste, aux côtés de personnages hauts en couleur, et d'un Sasha de plus en plus attachant, notamment parce qu'à l'image des autres personnages, il a beaucoup mûri durant les quelques mois séparant le Naufragé de l'île maudite du début des Sillons du diable.

Si bien qu'on pardonne toujours à l'auteur des rebondissements que l'on sentait venir à des kilomètres, défaut majeur de son histoire, puisque seul Sasha ne comprend pas ce qui se passe juste sous son nez (et qu'il est bien le seul).
D'autant que le tome se veut nettement plus sombre: adieu les enquêtes sur les complots à Deux-Brumes, cette fois, c'est bel et bien la guerre. On quitte la petite ville de cambrousse pour la vaste capitale, et le début du voyage de Sasha met très bien en avant la menace qui plane sur le royaume. Et tout le reste sera du même acabit, entre un nouvel adversaire capable de lui tenir tête, machinations, trahisons, on n'est plus là pour rigoler et l'ambiance gentillette du premier volume est loin, très loin. La tension va crescendo... mais retombe comme un soufflé.

Cette fin.
Abrupte, trop rapide, après un tome entier où plane le spectre de la guerre, et après une pirouette déjà assez peu convaincante pour changer le cours des choses, LA bataille est passée sous silence à l'aide d'une grosse ellipse (et en plein milieu d'un chapitre!), alors même que l'on s'attendait à quelque chose d'épique (d'autant plus que l'auteur a largement prouvé être capable de nous dépeindre de magnifiques scènes du genre plus tôt dans l'histoire!), tout ça sent le méchant bâclage, alors même qu'à côté de ça, on ne peut qu'approuver certains choix scénaristiques de Yann Darko, notamment
(spoiler) en ce qui concerne Phélina. Si j'aurais bien aimé voir Sasha finir avec, j'ai adoré la façon dont l'auteur, refusant de tomber dans la facilité, a maintenu un peu le doute pour finalement garder la direction choisie à la fin du tome précédent, et surtout la manière dont Sasha comprend qu'un point de non-retour a été franchi, et renonce finalement à son premier amour. On reste dans l'ambiance plus adulte dans laquelle baigne le tome, et ça, j'ai vraiment aimé.(spoiler)

Et si l'épilogue rattrape un peu tout ça, sans pour autant fermer définitivement la porte à une éventuelle suite un jour, il aurait suffi à l'auteur d'un petit chapitre et quelques paragraphes de plus, pour que Chat Noir devienne définitivement un chef-d'oeuvre de la fantasy jeunesse. Et un coup de coeur personnel. En l'état, c'en est quand même, un petit, même si l'impression qu'il "manque un bout" demeure.
Vraiment, quel gâchis.