En découvrant sa bibliographie, nous voilà d'ores et déjà saisis par la prolixité de
Thomas Day, auteur spécialisé dans la littérature de l'imaginaire et la science-fiction. Des romans, des nouvelles, des anthologies, des recueils… un répertoire pour le moins impressionnant pour cet écrivain, né à Paris en 1971, qui enchaîne depuis vingt ans titres et récompenses et affiche à ce jour plus d'une dizaine de romans et une bonne cinquantaine de nouvelles.
Force est de constater que «
Sept secondes pour devenir un aigle » est une belle preuve de la riche et fervente imagination de cet auteur inspiré, qui réussit à nous balader d'un bout à l'autre de la planète en se renouvelant sans cesse dans le fond et la forme, dans le style, la tournure, les lieux et les atmosphères, l'espace et le temps.
Gravitant autour d'un thème central, l'écologie et le rapport de l'homme à la nature, chaque histoire s'habille d'un climat qui lui est propre, d'un décor particulier, d'un caractère personnel, offrant ainsi le sentiment d'une lecture qui prend alors des allures d'aventure.
Une histoire, une équipée. de l'Asie à l'Amérique, du continent australien aux côtes japonaises, des forêts du Cambodge aux déserts de glace du Grand Nord, les six nouvelles qui composent le recueil sont un voyage :
- « Mariposa », nous transporte sur une île du Pacifique peuplée d'étranges arbres à papillons…
- Avec la nouvelle qui donne son titre au recueil, «
Sept secondes pour devenir un aigle », l'on suit le parcours atypique d'un vieil indien sioux aux opinions radicales…
- Dans « Éthologie du tigre », véritable chant d'amour à la beauté sauvage du félin, l'on partage l'admirable détermination d'un homme à protéger cette espèce animale en voie de disparition…
- « Shikata ga nai » nous entraîne dans le Fukushima d'après la catastrophe, au côté de trois jeunes Japonais qui tentent de survivre en pillant la zone irradiée…
- « Tjukurpa » est une recherche des origines que vont entreprendre de jeunes Aborigènes en se servant des potentialités virtuelles…
- Quant à « Lumière noire », l'intelligence artificielle d'un ordinateur prenant le contrôle absolu de la planète propose une autre alternative à l'existence de Dieu…
Un recueil comme un voyage donc, qui, au-delà des sensations d'évasion qu'il procure, ouvre des pistes de réflexion sur l'état et l'évolution de notre monde.
Chacune des nouvelles de
Thomas Day participent avant tout d'une volonté de questionnement sur les problèmes de la planète. On ne peut pas dire qu'elles relèvent à proprement parler de la science-fiction ; elles naviguent plutôt entre ses marges, empruntant ici et là au genre fantastique, à la fable, au conte, à l'uchronie et même à la poésie, pour semer par petites touches, comme de petits cailloux subtilement déposés, des questions d'ordre écologique.
L'oeuvre de l'écrivain, à la fois fantaisiste et raisonnée, intelligente et accessible, très documentée et détaillée, va au-delà des notions de genres, sapant habilement l'éternel clivage entre catégories littéraires, pour ne laisser place qu'à la dimension universelle de la littérature, celle qui permet, et de s'évader, et de penser le monde, à travers les subtilités de la fiction.
Ce que l'auteur apporte d'observations, d'interprétations personnelles, ce qu'il soulève d'interrogations sur le devenir d'une espèce dont la violence intrinsèque à sa nature est la cause majeure de sa propre déperdition, devient la matière première d'un ouvrage mettant en perspective les agissements intempestifs de l'homme sur une Terre qu'il n'a cessé d'irriter et d'exciter comme des tiques dans le pelage d'un chien, et les conséquences dramatiques, irrémédiables, que cela peut entraîner dans un futur pas si lointain.
Remercions l'opération Masse Critique et les éditions du Bélial pour cet ouvrage de qualité qui nous a fait découvrir un auteur diablement intéressant mais aussi un dessinateur de grand talent,
Aurélien Police, dont les superbes illustrations en tâches d'encre et en coulures, offrent à l'ensemble du recueil une belle homogénéité visuelle.
Pour terminer, la postface de Yannick Rumpala sur la science-fiction à l'ère de « l'antropocène » clôt l'ouvrage de manière très édifiante en soulignant le rôle représentatif, éthique, imaginatif, d'un genre littéraire qui permet de responsabiliser l'humain sur son environnement et sur ce qui assurera (ou pas)son devenir.