En plus de ses serpents des neiges, la petite fille abrite dans une boîte à biscuits quelques objets inspirés de ceux qu'elle a vus aux mains des hommes-médecine et auxquels elle prête les mêmes pouvoirs magiques : des plumes, des crottes de chat-huant exposées à la lumière de la lune pour les charger de fluides bénéfiques, des cailloux (elle les respecte parce qu'elle sait qu'ils lui survivront même si elle devient une très vieille femme), des herbes nouées, des brins de laine et des tiges d'orties qu'elle fait sécher pour se confectionner un attrapeur de rêves.
- Si vous appelez fantôme la survie de l’esprit et sa capacité à se manifester spontanément ou par l’intermédiaire d’un medium, alors oui j’y crois, affirma Doyle.
Parce que c’est une réalité qui a été prouvée.
Et je ne comprendrais pas que la science dédaigne plus longtemps de s’y intéresser.
Adopté par un fermier blanc qui l'avait rebaptisé Jack et initié au christianisme, Wovoka avait lu la Bible. Il en avait déduit que si les Blancs avaient osé tuer le Fils de Dieu, rien ne pouvait les empêcher de massacrer des Indiens qu'ils considéraient comme à peine supérieurs à des animaux.
Rien, ni dans son langage ni dans ses manières, ne peut laisser supposer qu'Emily n'est pas irlandaise, et une Irlandaise élevée en Angleterre, avec les exigences et la vérité que cela implique. Désormais, ce qui pourrait trahir ses origines sioux lakotas n'est plus d'ordre du visible : elle ne s'est pas contentée d'emprunter aux vieilles comédiennes leur accent irréprochablement anglais, elle a appris d'elles l'art d'enfouir sa propre vérité pour en endosser une autre.
Le propre des mensonges n'est pas leur nébulosité mais au contraire leur dureté, leur résistance. On doit pouvoir s'appuyer dessus aussi sûrement qu'on traverse la Welland à pied sec quand elle est prise par les glaces.
Jayson a pris de nombreux clichés des corps éparpillés raidis par le froid dans des poses parfois très belles qui font penser à la façon dont la nature noue et torsade les arbres.
… rien ne doit ralentir Chumani, il faut qu’elle maintienne son avance sur l’essaim des éclats d’obus incandescents et des billes de plomb chauffées à blanc, elle se souvient du jour où elle a été prise en chasse par des abeilles dont elle avait bousculé la ruche, les insectes s’étaient aussitôt lancé à sa poursuite, ondulant derrière elle comme un torrent en crue, et Chumani, bien qu’elle ne fût plus alors qu’une fillette à peine plus âgée que celle qu’elle tente maintenant d’arracher à la fureur des soldats américains, avait compris qu’il n’était pas question de ruser, qu’elle n’échapperait au dard des abeilles qu’à condition de courir plus vite qu’elles, plus vite qu’elle n’avait jamais couru. Les fragments de métal qui la poursuivent aujourd’hui ne sont pas plus intelligents que des abeilles, mais ils sont beaucoup plus rapides, elle ne les voit pas voler au-dessus d’elle mais elle les entend ronfler ou siffler, le bruit dépend de la forme qu’ils ont prise lors de la fragmentation de l’obus, puis ils s’abattent dans la neige avec des grésillements rageurs, et là où ils tombent s’épanoussent de larges ombelles de vapeur grise. (p.15)
Jayson plisse les yeux. Les Sioux Lakotas ont raison de penser que la vie d’un homme est un cercle, que tout finit par se rejoindre.
Ainsi le nom du Dr Doyle qui le renvoie aux relents de métal mouillé du City of Paris et puis à ceux de la cabine où il s’était confiné avec une petite fille.
Conan Doyle est devenu le romancier le plus populaire d’Angleterre.
L’auteur emblématique du Royaume-Uni.
Doyle a été anobli par le roi pour avoir défendu le comportement des troupes britanniques durant la guerre des Boers.
Cela n’est pas ce qu’ils ont fait de mieux, le roi et Doyle, songe Jayson qui a vu des photos d’enfants morts de malnutrition dans le camp de concentration anglais de Bloemfontein, Etat libre d’Orange, enfants dont les corps squelettiques lui ont rappelé ceux des Sioux pétrifiés de Wounded Knee.
Elle aurait pu composer des parfums assourdissants.
De fait, elle les compose. Son corps est une palette de fragrances qu'il suffit, pour faire chanter, d'embrasser de la tête aux pieds, du boisé de sa chevelure à l'odeur laiteuse et vanillée de sa bouche, du paprika très doux des aisselles à la touche de framboise et de beurre de ses aréoles bleutées, en finissant par le sexe qui sent le thé poivré.
Cette enfant est mon enfant parce que je l'ai sauvée.