C'est ridicule, je sais, mais en vivant avec elle, je suis remplie de questions, de curiosités et même d'indiscrétions. C'est comme si j'avais sous la main un trésor et que je ne sache pas encore ce je peux en faire ou comment l'ouvrir...
On ne regrette jamais ce qu'on n'a pas choisi. On regrette la chance qu'on a laissé passer.
Retourner sur certains lieux, c'était l'assurance de remonter le temps, de retrouver les traces de son passé.
Je me souviens d'avoir été fascinée par le miracle des bons livres qui arrivaient au bon moment de la vie. Ceux qui parfois tombaient des étagères pour venir répondre à des questions que me posait l'existence. J'ai récupéré ainsi la patience à une époque où je serais partie dans l'exaspération, découvert les vertus de l'amour rêvé, abandonné le voyage à d'autres vies, rangé le meurtre au rayon de l'impossible. J'ai tout vécu, j'ai mille ans, et je le dois aux livres.
En amour plus qu'ailleurs, le silence est préférable aux mots dits. Je goûte l'instant, je jouis du silence pour conjurer le temps.
Si j'avais pu révéler mon amour pour les livres et ne pas les cacher, ce qui m'obligeait à n'en posséder que deux ou trois, c'est dans la cuisine que j'aurais mis la bibliothèque. Tant pis pour le gras sur les pages. J'aurais ouvert après quelques années des romans qui auraient eu des parfums différents. Le romarin pour Maupassant, le curry pour Baudelaire, les oignons pour... Ah que j'aurais aimé cela, une immense cuisine-bibliothèque !
A vivre au jour le jour dans les pensées de l'autre elles avaient appris à saisir ensemble ces petits bonheurs de l'existence pour en faire des bouquets
Les riches lisaient, ils ne savaient rien faire de leurs dix doigts et n'avaient de toute façon pas besoin de se servir de leurs mains.
Souvent quand je finissais d'écrire un poème ou une phrase dans mon cahier, je me relisais. Je regardais la beauté de l'extrait de ce texte, écrit cette fois de ma main, et je me demandais toujours si celui qui l'avait tracé pour la première fois en avait perçu la magie. Il m'arrivait de pleurer en recopiant.
Quand j'étais jeune, les vieux étaient vieux et aujourd'hui que je suis vieille les vieux se doivent d'être jeunes.
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