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Citations sur Demain la brume (28)

Arrivé devant chez mes parents, mon chauffeur m’a demandé si c’était bien là. « C’est la première fois que je vois une Noire avec un bouquin », il a ajouté, le plus naturellement du monde, comme s’il me faisait un compliment.
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Les peurs individuelles nourrissaient la peur collective qui à son tour rejaillissait sur les peurs individuelles.
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Le vent froid a gommé les frontières
La houle a atteint le sommet des arbres
A obscurci les sentiers de montagne
Laissant des villes brûlées, du gros sel
Et les cris du silence.
Seules les rôdeurs de tôle rouillée,
Le grésillement des générateurs,
Et les cumulus au-dessus des centrales
Prouvent qu’il y avait des humains
Ici avant
Dans ma Yougoslavie.
Demain la brume
Demain la brume
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C’est après une manifestation que j’ai rencontré Pierre-Yves. En ce mois de novembre 1990, les lycéens étaient dans la rue. Moi aussi, j’étais allée bruyamment manifester. Je séchais les cours, parcourue par un excitant sentiment de transgression. Il faisait gris. Un brouillard épais était remonté du fleuve et avait tout enveloppé de son humidité molletonnée. La ville suintait. Dissimulée dans la poisse de la brume, je riais, je chantais, je crachais mon mal-être dans des formules bien ficelées, reprises avec vigueur par toute la masse humaine autour de moi.
Jospin ta réforme tu sais où on se la met, du pognon pour les lycées par pour l’armée, des pions pour l’éducation.
L’ambiance était joyeuse. Je répétais les slogans à tue-tête. Je hurlais. Je braillais. Au fond, je ne savais pas grand-chose sur quoi que ce soit mais ça n’avait aucune importance. Le mal-être que nous ressentions était véritable, lui. Nous, les « cocus de l’histoire », les lycéens trompés par toutes les convictions auxquelles avaient cru nos parents. On nous taxait d’individualistes. On nous taxait d’égoïstes. On nous taxait de nihilistes. Mais était-ce notre faute si nous avions assisté à l’écrou¬lement de toutes les idéologies ? S’il semblait ne rester aucun idéal pour lequel s’engager ? Alors là, serrée dans la foule aux côtés de mes camarades de classe, je voulais croire que notre lutte mettrait un coup d’arrêt à ce projet liberticide et que notre manifestation serait la première d’un mouvement massif et global qui marquerait l’histoire. Une nouvelle révo¬lu¬tion dont la France, et le monde, avaient bien besoin.
Nous étions une petite bande du lycée. Une dizaine, qui, comme moi, rêvaient d’une autre vie, d’un autre avenir. Les garçons se laissaient pousser les cheveux et les filles se les rasaient. Nous nous échangions les cuirs. Les motifs écossais. Les bracelets cloutés. Nous nous achetions une culture punk dans les friperies du centre-ville, des jeans déjà troués, fatigués, des cuirs tannés, des Doc coquées déjà portées. Nous dressions nos majeurs tendus aux gens bien comme il faut et fumions à la chaîne des cigarettes roulées. Nous nous rebellions dans notre bocal clos en nous jurant que jamais nous ne rentrerions dans le rang comme les autres générations contestataires avant nous, comme les autres frondeurs devenus des vieux cons, mais tous nous lorgnions sur les quelques punks, les vrais de vrais, qui zonaient à proximité de la gare. Ils n’étaient pas légion à Nevers. Nous leur enviions ce frisson de liberté qui s’échappait d’eux. Nous les admirions avec leurs crêtes tellement hérissées qu’on aurait dit des lames, leurs chiens laineux qui grignotaient les restes de bouffe et lapaient parfois, en fin de soirée, un peu de bière versée dans leurs gamelles. Juste pour rire. Lorsque les clébards tanguaient sur leurs pattes fragiles, ils semblaient se demander de quel côté de la terre il faisait bon marcher. Pierre-Yves était l’un de ces punks. Enfin, c’est avec eux qu’il a débarqué dans le cortège de la manifestation, ce jour-là. Leur petit groupe s’agitait à côté du nôtre. Bruyant et désordonné. Dans le trottinement monotone du cortège, ils se mouvaient désarticulés, allaient, venaient, sortaient du défilé en essaim nerveux pour recouvrir d’autocollants la vitrine d’un fast-food américain, puis retournaient se fondre dans la masse compacte, s’abriter dans la chaleur des anoraks colorés. Ivres et joyeux. Libres. Pierre-Yves riait beaucoup. Je l’avais tout de suite repéré. Pourtant, il n’était pas particulièrement attirant avec son petit mètre soixante-dix et ses cheveux désespérément fins qui tombaient sur un front trop vaste, une mèche d’enfant de bonne famille. Pas qu’il soit moche non plus, enfin ce n’était pas mon genre de mec. Mais il était un peu différent des autres. Lui ne portait pas la crête. N’avait pas de chien. Pourtant, il dégageait quelque chose.
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À la fin de la troisième chanson, j’ai attrapé le micro. Je leur ai dit que ce n’était pas ce qu’ils pensaient, que c’était un quiproquo. Ils demandaient cette chanson pour de mauvaises raisons. Quand j’avais écrit le texte, je n’y avais pas mis le sens qu’ils y mettaient, eux. Je ne voulais pas que la Yougoslavie s’effondre, que les nationalismes émergent, non, trois fois non, pas du tout, et j’ai commencé à bafouiller, et le public s’est mis à siffler, d’abord un ou deux sifflets sortis de nulle part comme des mouettes à bout de souffle, puis ça s’est répandu comme une traînée de poudre, un blizzard chuintant dégobillé d’une fosse septique. 
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"Je crois que nous tous ici, on est des écorchés. On est ici parce qu'on a quelque chose à fuir. Tous."
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C'est l'avantage avec les souvenirs : ils sont malléables et permettent de faire le tri.
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Sa jambe me frôlait sous la table. Je sentais sa chaleur qui m’irradiait. Je n’osais plus bouger. Il était étonnamment doux, presque enfantin. Sa présence naturelle parmi nous. Nous descendions des demis de Kanter et la conversation a pris une tournure plus habituelle : ressasser les dérapages de nos soirées éméchées. Pierre-Yves restait silencieux, riant quand il fallait rire, nous relançant parfois d’une question anodine. Puis à son tour, il racontait avec emphase les nombreuses manifestations auxquelles il avait pris part, comment les flics l’avaient chargé, en mimant les coups de matraque avec de grands gestes théâtraux. Nous rigolions alors qu’il décrivait les flots de sang qui s’échappaient de son arcade sourcilière.

Je le dévisageais et mon cœur battait fort. Sur la banquette en skaï de ce rade boudiné. Dans ce petit bar décoré de tableaux de mauvais goût, de nus voluptueux et de paysages savamment choisis par le patron pour leur laideur et la vulgarité des palettes. Mon cœur cognait à toute berzingue devant son reflet dans les grands miroirs face à nous, qui dédoublaient son visage, et, gênée, de peur d’être surprise, je plongeais la tête dans mon demi, à regarder la mousse se diluer à petit feu
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 Il a lu une liste de noms qui devaient le suivre, tout ça avec un accent monténégrin. Un accent chantant qui sentait l’air salé de la mer et le vin rouge puissant. T’as été pris d’une vague d’amour pour ce militaire. T’as eu envie de le prendre dans tes bras et lui dire : mais mon frère, qu’est-ce qu’on fabrique ! Putain, laisse-nous aller boire un verre et fumer une cigarette et oublier ces derniers mois, mais bien sûr t’as rien dit, Jimmy, parce que c’était trop tard pour tout ça. 
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Personne ne savait qui était quoi. Qui était serbe, ou croate, ou hongrois, ou musulman. Ça ne voulait rien dire. Ou si, la différence existait, mais seulement dans les intérieurs confinés de nos maisons, dans les marmites qui mijotaient sur les réchauds. Et c’est tout. Six républiques, Cinq nations, Quatre langues, Trois religions, Deux alphabets, Mais un seul parti. Et c’est tout. J’étais un Yougoslave, et j’avais toujours baigné dans la culture communiste.
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