Je rangerais ce livre dans la catégorie ‘'billets d'humeur'', des chroniques quotidiennes sur France Inter traduisant la ‘'haine ordinaire'' de leur auteur. Cela va de thèmes profonds (démocratie, drogue, misère, etc…) à des incidents arrivés à celui-ci (cambriolage de sa maison, difficultés avec «l'espèce de fil rouge autour des portions de crème de gruyère», etc…). Un brin provocateur, il affirme : « je ne cherche pas à vous faire rire, mais seulement à nourrir ma famille en ébauchant ici, chaque jour, un grand problème d'actualité : ceci est une chronique qui n'a pas d'autre prétention que celle de me faire manger. »
Fidèle à lui-même, il brocarde :
- les voeux de nouvel an : « des brassées d'imbéciles joviaux se jettent sur leur téléphone pour vous rappeler l'inexorable progression de votre compte à rebours avant le départ vers le Père-Lachaise »
- l'«humanisme sanglotant» des choeurs caritatifs : «une horde électronique de rockers anglophones surgavés d'ice-creams se prend soudain d'émotion au récit pitoyable de la misère éthiopienne»
- les «censeurs, que seule la crainte du pléonasme m'interdit de qualifier d'imbéciles ; engoncés dans le carcan étriqué de leurs certitudes apprises, ils sont de ceux qui hurlent à la lune morte les cris de leur coeur surgelé»
- un critique de films suffisant « dont je tairai le nom afin qu'il n'émerge point du légitime anonymat où le maintient son indigence»
- les personnalités s'entourant d'une cour de flatteurs et pique-assiettes : «certains hauts personnages accrochent ainsi à leur traîne par altruisme, ou pour se rassurer, des conglomérats gluants d'indécrochables sangsues»
… et j'en passe : les vieux, les jeunes, les ministres de cohabitation, les psys, les jockeys, le football, etc... ; etc…
Attention ! C'est souvent féroce mais il n'ironise pas sur les gens faibles ou les situations graves ; il brocarde ceux qui méprisent voire écrasent les premiers ou ceux qui exploitent sans pudeur les secondes à leur profit. Tout cela avec ses «signaux d'ironie : exagérations incongrues, non-sens, illogismes, inversion des réalités» (A.M. Paillet in "Je suis un artiste dégagé -
Pierre Desproges : l'humour, le style, l'humanisme'')
Bien sûr, certains billets font référence à des personnalités (
Charles Pasqua, « Don Camillo uber alles ») ou des actualités de l'époque et sont moins ‘'parlants'' pour les générations postérieures : le décret interdisant les gommes en forme de fraise (encore que le nombreux personnel politique mobilisé par certains décrets mineurs et anecdotiques soit toujours d'actualité, je le crains), la nomination de
Haroun Tazieff comme ministre, puis la perte de son portefeuille (encore que je trouve un grand écho dans la nomination de Me Dupont-Moretti comme ministre), etc.., etc…
Et puis il y a certains billets plus graves, où l'ironie affleure à peine
, tel ‘'La misère'' : « Il y a la misère éclatante qu'on nous trompette avec fracas, qui s'étale à nos unes et s'agrippe à nos remords, qu'on nous sert dans la soupe et qui nous éclabousse. (…) Et puis, il y a la misère de série B qui ne vaut pas le détour. D'ailleurs, on ne la voit même pas». Ou encore, la situation au Liban (hélas, toujours d'actualité 35 ans plus tard) : «Nous n'irons plus au Liban, les cèdres sont coupés, les enfants que voilà ne savent plus chanter.»
… Indéboulonnable, indémodable Desproges
PS : « Quant à ces féroces soldats, je le dis, c'est pas pour cafter, n'empêche qu'y font rien qu'à mugir dans nos campagnes».