Son visage trône au milieu du salon depuis de nombreux jours à présent. La grâce d'une héroïne hitchcockienne, une fragilité apparente, beauté blonde et froide, port de princesse, rien qui ne pourrait laisser présager, en apparence, du feu brûlant de la création comme seul remède pour survivre.
Niki de Saint Phalle c'est bien elle, moins connue sous son nom de femme mariée Tinguely, mariée à son amour Jean, peintre-sculpteur est dévoilée dans ce « roman biographique » .
Niki de St-Phalle la plasticienne, réalisatrice, artiste d'avant-garde et dont beaucoup d'entre nous connaissent les Nanas, ces superbes femmes rondes, généreuses, colorées. Un destin de femme et dans ce sens en lire une biographie représente un intérêt. Mais ce livre est bien plus qu'une biographie « classique ». Il prend la forme d'une mosaïque de regards, de récits, de témoignages, d'anecdotes, d'archives, le tout sous une plume d'écrivain qui fait entendre les voix, celle de Niki et de son entourage pour raconter une trajectoire, incarner une femme et approcher une oeuvre, son processus créatif. Ce livre est à l'image des créations de l'artiste : un éclatement, des brisures et cassures, du rond, du polychrome, un enchevêtrement, fourmillement, un imaginaire au service du réel, un brassage pour dire la vie.
Trencadis : n.m. Technique de constitution de mosaïque par récupération de morceaux de céramique.
Niki, et elle dans les lignes de cet ouvrage, n'est pas morcelée, elle s'équilibre au mieux et se forge, se forme de tous les éclats, failles, entraves, rencontres, luttes de son existence. Ainsi du brisé on construit quelque chose…
La cassure, la fragilité et voilà la résilience en action pour sublimer et exorciser les crimes, les odieux, le brisé en soi.
Rien n'est parfait, jamais. « Pourtant tout mon corps se tend à l'idée de cette gifle à empreintes rouges que je suis, hélas, incapable de leur flanquer. Je bous de colère, j'éructe, j'érupte, qu'on ne vienne pas me chercher des emmerdes, ah ça non….Mais en vérité, c'est surtout après moi que j'en ai, ce moi qui me déçoit. Longtemps je me suis pensée guerrière, capable de déloger l'ennemi intérieur, plus forte que tout, mais non ! La guerre est d'usure, et profite malignement de mes gardes baissées et de mes lassitudes. »
Echo si actuel quand j'écris ces lignes à la foule de témoignages spontanés qui rappellent et surtout disent, crient encore combien l'inceste fracasse, détruit et combien il est difficile de s'en relever, de cicatriser les blessures du corps malmené et de la honte infiltrée.
Dès lors merci Mme Niki de St Phalle.
Quel souffle, quelle force et dignité en suivant la lumière de la création, de la voie de l'imaginaire pour tracer un chemin et gagner une liberté, même brinquebalante.
Liberté et inventivité de la narration ingénieuse et pétillante pour nous approcher de la femme et de ses combats. Merci
Caroline Deyns.
« Toujours est-il que ce secret ajouté à tous les précédents, puisqu'il est des familles ainsi bâties sur des silences grimpés les uns sur les autres comme des tas d'immondices, a du détraquer ma patiente plus sûrement que ne l'aurait fait la vérité. Mieux vaut dégoupiller une bonne fois pour toutes les mines qui nous courent sous la peau m'a-t-elle déclaré un jour. A condition de ne pas le faire à moitié au risque de se retrouver avec une explosion de pétard mouillé. »