Cette élégante novella est assez inclassable. Elle relève évidemment des littératures de l'imaginaire, et elle n'est ni dans le registre du fantastique ni dans celui de la fantasy.
Science-fiction alors ? Difficile, quand la science est absente -- les "engineurs" avouent eux-mêmes ne pas comprendre ce monde qu'ils se contentent d'entretenir tant bien que mal.
En fait,
Paul di Filippo cabosse soigneusement un miroir pour qu'il devienne déformant, et se/nous regarde dedans. le résultat est tout d'abord un univers tout à la fois très étrange et étrangement familier, une des grandes réussites de cet ouvrage. La ville-rue, c'est un cadre si réussi, un sens du merveilleux si abouti qu'on ressent un pincement à le quitter, tant il a de potentiel encore ! On se prend à rêver d'autres récits prenant corps dans celui de ce concret qui est presque une abstraction, ligne infinie, tore ou ruban de Möbius. Ne rêvons pas trop, le texte a été écrit en 2003, et depuis, aucune nouvelle de cet univers.
Mais la ville-rue, ce n'est pas qu'un univers extraordinaire, c'est aussi un texte qui, l'air de rien, aborde de nombreuses thématiques, par petites touches, sans lourdeur aucune : les littératures bien sûr, mais aussi les différences culturelles, les addictions, la culpabilité et j'en passe.
Paul di Filippo se retient de nous asséner ses convictions et se contente de poser des questions, "je pose ça là, vous en ferez ce que vous voudrez".
Et tout ça en nous racontant bien sûr une vraie histoire, une tranche de vie qui sait intéresser, émouvoir, et nous faire tourner les pages sans nous en rendre compte. La dernière page arrive trop vite, et je crois bien que je relirai ce livre, pour le plaisir, et certainement y trouver encore un peu de grain à moudre.
Pour une analyse plus fine que mon simple ressenti, je vous encourage à aller voir la critique très aboutie de Feydrautha sur L'épaule d'Orion.