Pleine de gouaille et de métaphysique, d'inventivité et de miroirs, une somptueuse prise à rebours de certaines de nos réalités philosophiques et littéraires les mieux ancrées en apparence.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/13/note-de-lecture-
un-an-dans-la-ville-rue-paul-di-filippo/
La vie coule plus ou moins paisible le long de l'Avenue, dont nul ne connaît la longueur exacte, mais dont tous savent qu'elle se compte au moins en dizaines de milliers de kilomètres, cité étroitement enserrée entre le Fleuve et les Voies, au-delà desquels s'étendent le Mauvais Côté des Voies, séjour des morts ayant mérité l'Enfer, et l'Autre Rivage, aux allures inconnues de Paradis pour âmes méritantes. Les « affectations » des morts ont lieu juste après leur dernier instant de vie, lorsque des Psychopompes dédiés, Bouledogues aux airs démoniaques et Femmes de pêcheur aux traits angéliques, viennent les chercher pour cette poursuite éternelle.
Diego est un auteur prometteur de « cosmos fiction », mauvais genre d'écriture gaillardement méprisé par les tenants de la « vraie littérature ». Adulant sa fiancée, fantasque créature au physique ô combien impressionnant de soldate du feu hors normes, solidaire de son meilleur ami que bien des vices tentent en permanence, il s'occupe aussi, de temps à autre, de son père mourant, rongé par la culpabilité liée au décès de sa mère.
Subtil fabricant de miroirs artistiques et métaphysiques, Diego réfléchit aussi, un peu plus qu'à ses moments perdus, entre passions du jazz et de la haute cuisine, au sens de la vie, voire au sens de l'Avenue.
Avec cet «
Un an dans la ville-rue », publié en 2002 et superbement traduit vingt ans après, en 2022, par
Pierre-Paul Durastanti pour Une heure-lumière, la belle collection de novellas concoctée par le Bélial' depuis quelques années, l'Américain Paul di Filippo réussit un beau tour de force. Jouant à merveille et avec concision des effets de pas de côté et de détour (que nous rappelle Gromovar à ce propos dans son Quoi de neuf sur ma pile ?, ici), il nous propose une somptueuse mise en abîme de nos propres interrogations psycho-sociales sur la mort, sur la manière d'en rendre compte et de « vivre avec », comme sur le rôle (ou les rôles possibles) de la littérature elle-même. Déployant aussi bien, en à peine 100 pages, l'humour caustique et sceptique d'un
James Morrow que le sens du résolument bizarre d'un
Jeff Vandermeer ou d'un
China Miéville, vivifiant avec verve les expériences physiques et géométriques de pensée d'un Edwin Abbott, d'un
Steve Tomasula ou d'un
Christopher Priest, il crée pour nous un univers original où la New-York jazz et fébrile des années 60 viendrait télescoper des futurs nettement incertains. Et c'est ainsi que la science-fiction prouve encore et toujours, avec malice, ferveur et élégance, sa vitalité inventive et sa puissance de feu.
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