Dickens a écrit des pavés avec beaucoup de personnages.
Celui-ci n'échappe pas à la règle. le personnage central,
Nicholas Nickleby ainsi que sa soeur, Kate vont passer à travers moultes épreuves à commencer par la malchance de leur père qui défunte assez tôt, les laissant seuls avec leur mère à charge et leurs bonnes volontés pour trouver du travail. Leur oncle Ralph, frère du défunt, fait figure d'un usurier sans scrupules et sans sentiments. Il place Nicholas, par relations interposées chez un certain Squeers comme enseignant mal payé de l'institution que celui-ci dirige d'une main de fer : Dotheboys Hall où les enfants sont affamés et régulièrement battus et humiliés. Parmi eux, Smike, une espèce d'esclave personnel de Squeers, chétif et souvent victime d'injustice.
C'est avec Smike que Nicholas s'enfuira de Dotheboys Hall, caricature de la pension sordide et marquante avec un directeur âpre au gain, ce qui le rapproche de Ralph. Nicholas fera donc du théâtre à Plymouth avec Vincent Crummles tandis que sa soeur, victime des assiduités de Sir Mulberry Hawk, ami financier de lord Verysopht, jeune noble naïf. Nicholas et Smike gagnent alors Londres pour protéger la soeur et la mère. Enfin Nicholas rencontre des comptables philanthropes en les frères Cheerryble et se fera un ami de l'employé exploité de Ralph, Newman Noggs.
On n'oubliera pas les personnages « comiques » sensés équilibrer le roman qui aurait trop l'aspect d'un mélodrame : les Mantalini ainsi que la concierge peintre de miniatures, Miss La Creevy ; il en va de même pour Mrs Nickleby, mère de Nicholas, pour ses raisonnements de « bon sens.»
On aura vu que les noms que Dickens donne à ses personnages sont lourds de signification : Hawk, le faucon (rapace) et Verysopht (= very soft : très doux) ; Cheerryble (Cheer + able : capable de réconforter) etc. Tous sont des types en fait et l'on pourrait reprocher à Dickens d'en mettre trop parfois sans trop savoir que faire de ceux-ci en fin de parcours bien qu'il en parle dans la conclusion de ce livre aux 65 chapitres et de 934 pages quand même.
Les méchants qui courent après l'argent au mépris de leur propre famille sont punis quand ils ne punissent pas eux-mêmes et les jeunes gens de bonne volonté sont récompensés de leurs efforts et de leur sens moral. Beaucoup de manichéisme dans ce roman de Dickens jeune puisque c'est le premier qui apparaît en feuilleton et suit de près «
Oliver Twist. » Certes, le propos de l'auteur est édifiant : on méprise l'argent à tout prix, raille une société où la liberté des jeunes gens est bafouée par leurs parents ou tuteurs, où, pour de sombres affaires d'héritage, on n'hésite pas à marier les vieux messieurs aux tendres jeunes filles, et celles-ci se soumettent parce que leur père a des dettes.
Mais la lecture est assez agréable et le style de Dickens tout en langue très classique voire latinisante, marque du XIXe siècle, et toute en nuances comiques donne des qualités à ce roman. Et puis on lit aussi Dickens pour l'ambiance et le fait qu'il ait ensuite écrit des
histoires de fantômes, notamment dans « le Conte de Noël » n'est pas étranger à la façon qu'il a de décrire le Londres des bas-fonds :
“Having but one outlet, it was traversed by few but the inhabitants at any time, and the night being one of those on which most people are glad to be within doors, it now presented no other signs of life than the dull glimmering of poor candles, from the dirty windows, and few sounds but the pattering of the rain, and occasionally the heavy closing of some creaking door.”
(“La rue était boueuse, sale et déserte. N'ayant qu'une issue elle n'était traversée que par ses rares habitants à n'importe quel moment, et la nuit étant de celles où la plupart des gens préfèrent rester chez eux, elle n'offrait à présent d'autres signes de vie que la morne lueur vacillante des pauvres bougies derrière des vitres sales, et l'on n'entendait que les gouttes de pluie et parfois le battement lourd d'une porte qui grince. »)
De plus, on sent ici et là que Dickens a lu et relu son
Shakespeare et ses portraits d'usuriers qui vivent dans la misère (Arthur Gride ici, Shylock chez
Shakespeare) se font l'écho de personnages Shakespeariens ainsi Squeers qui considère Smike comme sa propriété n'est pas loin de la livre de chair que Shylock réclame comme paiement de sa dette en apparaissant comme l'ogre du conte :
“‘It isn't a dream!' said Squeers. ‘That's real flesh and blood, I know the feel of it;
(“ Ce n'est pas un rêve, dit Squeers, c'est de la vraie chair et du sang, je connais cette sensation »)
Pour tout cela, il faut lire Dickens. Il nous attend au détour d'une phrase, d'un mot, d'une subtilité. Et puis quoi, c'est relativement bien ficelé même si l'on voit parfois un peu trop les ficelles.