Mes livres se sont envolés
une fois dans leur vie de livres
Ils auront quitté la terre ferme
Dans un virage
Ils se sont écrasés au sol
certains sont écornés
J'ai presque l'impression
d'entendre l'un d'eux dire
"j'ai mal"
Pourvu qu'on n'apprenne pas
que les objets souffrent aussi
pourvu qu'on n'apprenne pas
Dans l'encadrement
tu te tiens
droite
et tu appelles le chat
absent ce matin
Assis à la table
je te regarde de profil
et je pense qu'il va falloir
quitter ce moment
comme tant d'autres
sans y être jamais
préparé
Acquis
Je retiens peu des jours passés
et je veux bien
retenir encore moins
Mais qu'on n'en déduise pas
que je n'ai rien appris
J'ai chaque jour une idée
de ce qui se perd en chemin
Ce chat n'est pas å nous
mais vient nous visiter
tous les jours
Il nous a choisis
la maison et nous
l'odeur
Le matin il est là
posté dans le jardin
Il entre
choisit la chambre
et dort
toute la journée
Nous, nous sommes pris
dans l'élan des jours
l'étau des tâches
inquiets
affairés
seulement apaisés
par la présence
du chat qui dort
et dès qu'il sort
des heures durant
nous l'espérons
(Le chat qui dort)
Etre saisi
par la rumeur
du soir s'infiltrant sous la pierre
des chants d'oiseaux qui
s'atténuent
Ce soir
je me suis résolu
à n'être rien
et à laisser peu
Toutes ces années
et j'arrive là
Sans doute la rumeur
a-t-elle changé
depuis le temps
(Relâchement)
La mesure
Il reste du temps
dans la grande pièce à l'air vide
Au centre
un petit tas de paille
parsemé d'épingles
Les radiateurs claquent
le vent joue son morceau
Ici ce sont les esprits
qui invoquent les vivants
un volet frémit
un oiseau entré fait sa ronde
On prend là
la mesure d'une vie
au son de portes rétives
de placards qu'on peine à fermer
La récolte fut-elle bonne ?
dur à dire
trop tôt
Et même si la ruine menace
sous le grand toit bâché
je garde au moins pour écrire
intactes
mes mains de vingt ans
La tristesse des villes
imprime sur les gens
dont la tristesse imprime
sur les villes
Acquis
Je retiens peu des jours passés
et je veux bien
retenir encore moins
Mais qu'on n'en déduise pas
que je n'ai rien appris
J'ai chaque jour une idée plus nette
de ce qui se perd en chemin
La petite maison
I.
Je viens de temps à autre
dans la petite maison
En entrant j'ai l'impression
de lui rendre visite
Je l'ai meublée
j'y dors parfois
Il n'y a pas d'arbres autour
pas de jardin
Elle est un lieu pour s'isoler
où je suis le seul vraiment
Elle accueille cette solitude
elle en prend soin
comme de toutes celles
qu'elle a déjà
irriguées
Elle écoute
les rires enfouis en elle
les pleurs séchés
les quelques mots encore vibrants
entre ses murs
2.
Quand je sors de la petite maison
je vais un peu plus bas
le long de la rivière
Sous les arbres
des bancs
font signe
Je les ignore
pour un coin d'herbe
un endroit de lumière et d'eau
avant la tombée du jour
On entend les voitures
sur le pont
la ville est quelque part là-bas
Le livre que j'ai apporté
n'en sait rien
et moi j'ai oublié
comme j'oublie tous les livres
à part ceux lus ici
Puis je retourne
à la petite maison
j'entre et je cherche
un signe même infime
qui me dise
qu'elle m'attendait
3.
Il est tard
un disque joue
au centre la pièce
J'essaie
de ne pas boire trop vite
car le temps prend facilement le pouls
de l'alcool
Dehors
la nuit se désengage
mais la rue
dans le virage de la maison
reste à l'affût
le jour y a glissé
sans s'attarder
A l'intérieur
chaque mur
m'étreint
J'ai chaque jour une idée plus nette de ce qui se perd en chemin.
Je lis un poème
que je ne comprends pas
Est-ce à cela
qu'est voué un poème
rester fermé?
J'écoute
dans l'espoir que l'extérieur
se calme un peu
S'il se calme
peut-être que le poème
s'ouvrira?