Être trop proche de quelqu’un nous empêche souvent de le voir tel qu’il est.
La vodka est chose naturelle pour un écrivain russe. Quant aux conséquences, c’est l’affaire de Dieu.
Plusieurs fois, Mitrofanov et Pototski m’ont invité à boire. Mais je refusais. Sans trop de difficultés. Je m’abstiens facilement devant le premier verre. C’est aux suivants que je suis incapable de renoncer. Le moteur est bon, mais les freins sont hors d’usage.
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A la bibliothèque locale, j’ai déniché une dizaine de livres rares sur Pouchkine. A part ça, j’ai relu sa prose et ses articles. Ce qui m’interessait le plus, c'était son indifférence olympienne . Il était prêt à adopter et à exprimer n’importe quel point de vue, s'efforçant d’atteindre toujours le plus haut point d’objectivité. Telle la lune qui éclaire la route aussi bien au fauve qu’à sa proie.
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Les hommes ont de la chance. Plus ils sont affreux et plus leurs épouses sont belles.
— L’amour c’est la liberté. Tant que les portes sont ouvertes ça va. Mais quand les portes sont fermées de l’extérieur, c’est la prison.
– La seule voie honnête est celle des erreurs, des déceptions et de l’espoir. La vie est une découverte des frontières du bien et du mal à travers l’expérience personnelle… Il n’y a pas d’autre moyen… Je suis arrivé à une étape… Et je pense qu’il n’est pas trop tard…
– Ce ne sont que des mots.
– Les mots, c’est mon métier.
– Encore d’autres. Tout est déjà décidé. Pars avec nous. Tu vivras une autre vie.
– Pour un écrivain, c’est la mort
Quand on est forcé de s’exprimer dans une langue étrangère, on perd quatre-vingts pour cent de sa personnalité. On n’a plus la capacité de plaisanter, le sens de l’ironie disparaît. Cette seule idée m’épouvante.
Tania a surgi dans mon existence comme une aube qui se lève. Calmement, joliment, et sans éveiller d'émotions excessives. La seule chose qu'elle ait jamais eu d'excessif, c'est son indifférence. Une indifférence sans bornes qui la rend pareille à une manifestation de la nature. p. 64
Çà va déjà un peu mieux. Un entrain trompeur commence à m'envahir. Je fourre la bouteille de bière dans ma poche. En me levant, je manque de renverser ma chaise. Ou plutôt mon fauteuil en dural. Les vieilles dames me dévisagent avec effroi.
Je sors sur la place. Des panneaux gondolés agrémentent la grille du square. Sur ces supports en contreplaqué, des diagrammes promettent pour les prochaines années des montagnes de viande, de laine, d’œufs, et autres douceurs.
Les hommes fument près du car. Les femmes regagnent leurs sièges à grand bruit. La jeune guide s'est réfugiée à l'ombre pour déguster une glace. Je me dirige vers elle.
- Faisons connaissance.
Elle me tend sa paume poisseuse.
- Je m'appelle Aurore. (note du traducteur : Aurore est le nom d'un bateau de guerre)
- Et moi Cuirassé Potemkine.
Ma réaction ne paraît pas la vexer.
- Mon prénom fait rire tout le monde. J'ai l'habitude. Qu'avez-vous ? Vous êtes rouge ?
- Uniquement de l’extérieur. A l’intérieur, je suis un démocrate constitutionnel à l'ancienne mode.
- Non, sérieusement, vous vous sentez mal ?
- Je bois trop... Vous voulez de la bière ?
- Pourquoi buvez-vous ?
Qu'aurais-je pu lui répondre ?
- C'est un secret. Je ne peux le dire à personne...
- Vous voulez vous faire embaucher au musée ?
- C'est bien mon intention.
- Je l'ai deviné au premier coup d'oeil.
- Est-ce que j'ai l'air d'un littéraire ?
- Mitrofanov vous a accompagné jusqu'au car. C'est un grand spécialiste de Pouchkine. Un érudit remarquable. Vous le connaissez bien ?
- Je le connais bien... Mais en mal...
- Comment ça ?
- Ne faites pas attention.
- Il faut que vous lisiez Gordine, Chtchegolev, Tsiavlovskaïa... Les souvenirs d'Anna Kern... Et une brochure sur les méfaits de l'alcool.
- Vous savez, j'en ai tant lu sur les méfaits de l'alcool que j'ai décidé de renoncer définitivement... à la lecture.