Il était une fois un petit vieux et une petite vieille qui s'étaient tranquillement détestés tout le long de nombreuses années que le grignotage constant des calendriers des postes successifs effilochait.
Au milieu de vastes et intangibles pelouses, son pignon crénelé, ses deux tours semblaient émerger de la brumeuse imagerie d'une rêverie perdue, d'une gravure surannée oubliée dans un livre dont on ne tournait plus jamais les pages. Illusion d'un mirage que le moindre souffle va renvoyer aux cendres.
Par-devant l'éclat trompeur d'un étang paraissait malignement s'ingénier à en absorber la réalité dans les rides profondes de ses eaux troubles.
Château de contes de fée ou manoir hanté.
Et son sourire est un bouquet de roses rouges, son visage un paysage givré de carte de Noël, ses cheveux l'onde de la nuit déployant ses étoiles.
Il était une fois, il n'y a pas si longtemps, en ces temps incertains quand les horreurs de la Grande Guerre avait réduit celles du Grand-Guignol à d'innocentes pitreries de patronage, un tueur d'infirmes. [...]
Au crépuscule, lorsqu'une indéfinissable impression de petite mort venait embuer les vitres, que la voix cinglante d'un précepteur sadique et claudiquant remontant d'une enfance esseulée scandait en frappant "Ne remets pas au lendemain ce que tu dois faire le jour même", que ses propres ronrons l'étouffaient au fond de ses coussins, Chat sentait l'appel impératif du dehors l'envahir. [...]
Chat chassait. Par les ruelles chaotiques des banlieues populaires, les corons pouilleux, par les rues tranquilles des quartiers modestes, les avenues bourgeoises, les havres cossus des allées residentielles où les familles privilégiées ne laissaient sortir leurs "ratés" qu'une fois l'obscurité tombée, et par la porte de service.
Il y a des tueurs de pleine lune, des tueurs de filles perdues, des tueurs d'enfants, des tueurs de veuves, des tueurs de dames un peu boulottes, des tueurs de petits épargnants, des tueurs de daims et des tueurs de temps. Celui-ci était tueur d'infirmes
Toute sa biogriffure tenait là, illustrée de photos verdâtres, noir et blanc ou sépia.
Combien d'épreuves fallait-il affronter, combien de monstres, de Dragons à vaincre avant d'accéder au trône, de mériter l'amour de la Belle à nulle autre pareille. Georges n'avait jamais pu y parvenir.
p.215
"on connaît le golem de Prague, le boucher de Hanovre, les sordides Burke et Hare d'Edimbourg, l'étrangleur de Boston, le dépeceur de Mons, Gand avait son Halewyn".