la tentation est grande
de préférer les animaux
à tes semblables
qui se révèlent
chaque jour sous un jour
plus impitoyable
alors que tu réclames
de la pitié
comment aimer
les primates
de ton espèce
comment trouver le courage
de t'aimer, toi
qui ne vaut pas mieux
que les autres humains
tu caresses
ton chat
sans rien en attendre
tu es morte si souvent
que tu ne pourrais dire ton âge
même si on te suppliait
Personne ne t’a jamais appris
à te fabriquer
une carapace
contre les cauchemars
qui habitent
le silence fragile
de tes draps
Tapie dans ta chair, tu épies tes moindres faiblesses, tu ne te fais pas de quartier. Il y a longtemps que tu penses noir, que tu vois noir, que tu parles noir en plein soleil. La nature humaine est incurable, tu le sais depuis longtemps, tu es nombreuse en ta solitude
et tu portes ta férocité
telle une fourrure
rougie
en ignorant
de quelle bête
tu as hérité
le matin tu te lèves
avec du noir
plein la tête
c'est juillet pourtant
les terrasses en fleurs
et les plages
mais tu vois seulement
des tombes
Douleur, tu as tellement écrit ce mot que tu ne sais plus quel sens lui donner. Tu consens maintenant à le cacher dans les murmures de ta voix.
ADOSSÉE À L’ABÎME…
Adossée à l’abîme, tu apprends à squatter un peu d’air pour ta survie, ça pénètre dans ton ventre avec la poussière du sol, ça te fait pierres au foie, pierres aux reins, tu apprends à parler minéral, comme si tu voulais apprivoiser les fossiles déposés en toi, reliques des morts trop morts pour renaître au printemps. Tu portes un temps qui n’a plus souvenir des semailles ni des herbes affolées par le vent, te voilà revenue aux balbutiements d’un monde sans leçons à donner, sans terres à défendre. Tu aurais beau posséder toute la science de ton siècle, connaître des centaines de langues, aucune ne pourrait te soulager. Tu es un deuil qui se casse sans cesse contre la faille des continents, une humiliation quotidienne. Tu es là, preuve parfaite que Dieu ne sait pas exister.
TON TERRITOIRE S’EST CONSTRUIT MALGRÉ TOI…
Ton territoire s’est construit malgré toi sur une plaie à ciel ouvert, il inquiète les jours et leurs ailes, les nuits et leurs ailes, c’est sans repos où tu habites, un guet permanent. Tu voudrais délivrer du mal tous les oiseaux, tu attaches des clochettes au cou des chats, et tu te promènes la tête dans la grisaille des nuages en rêvant que ton geste ridicule puisse empêcher la ville de sombrer. Tu ne sauveras que quelques passereaux, mais tu agis, tu oses agir avec l’espoir d’alléger un rien la détresse, puisque la détresse risque de t’emporter. Juste un geste, et ce mot tout droit sorti d’un autre siècle, charité, que tu récupères en cherchant une posture pour vivre adossée à l’abîme.
Païenne, oui, tu le resteras. On t'a obligée à traduire tant d'épopées au collège que ton crâne est aussi peuplé que l'Olympe.
[...]
Tu fais l'inventaire de tes armes, papier, crayons, clous, marteau, doigts, bouche, langue bien pendue, langue capable de ressusciter les idées mortes. Tu n'as pas encore perdu la mémoire.