Les vieux sont vieux après quarante ans, on se marie pour les enfants et non pour la bagatelle. Sacrifiés, nous avons réussi par nécessité à nous découvrir l'un sans l'autre, à force d'avoir été privés l'un de l'autre.
Un renoncement au plaisir mais pas au souvenir.
Lui, la quarantaine, est rentré de la guerre alcoolique. Il s'est mis à boire là-bas. Les hommes sont revenus soûls des misères des tranchées.
Impossible de raconter à ma mère nos deux visages l’un contre l’autre, mon impression d’invincibilité quand mes lèvres ont touché les siennes, cette soif que m’a procurée son baiser. J’ai vu de près Germain, son visage si grand, le paysage de ses yeux, celui de son iris orné de fils d’or, couleur des ajoncs des landes, en forme d’étoile. Ce dessin d’iris commun à nous tous ici, qui caractérise les yeux des Celtes.
"Mourir, c'est aimer à l'envers."
Je vais mourir "à ma terre". Quel bonheur au fond, je vais suivre le lever du jour et le soleil va m'emporter et je vais danser avec lui jusqu'à la nuit.
Les falaises, ces filles solitaires où je vis, où je marche, où je pêche, où je pense, sous mes pas immobiles, grandissent avec moi, elles sont mes jambes, je suis leurs yeux et ma mère est presque heureuse.
Revenir au puits, celui du silence, non pas quand le bruit cesse, mais quand il nous raconte et que notre pensée tait, loin des désirs et plaisirs éphémères massacrants. L'amour sans souffrance, ni attachement ni colère, la beauté ni dans les choses ni même au-dessus des falaises, la beauté, un souffle, l'eau.
Le silence, le mien, celui de tous, quand je marche.
Nous ne nous embrassons pas, nous sommes depuis si longtemps éloignés l'un de l'autre, nous scellons notre promesse en regardant se coucher le soleil sur les falaises, qui alors deviennent ocre. Ma main est sur la sienne, quand nous nous relevons, l'herbe tendre garde nos empreintes.
Pour cela, lui et moi nous jurons de garder notre secret. Aucune personne de notre entourage ne doit le connaître sous peine qu'il s'efface et se noie plus profondément que les enfants du puits. Si l'un de nous le dévoile, notre entourage pourrait nous empêcher de vivre cette belle aventure.
Vivre la vie sans plus jamais la craindre. La nécessité d'être seul, pour rester acteur, héros, tournés en nous, une solitude habitée de l'un et de l'autre. Nous nous libérons de nos haines, de nos doutes, de nos questionnements.
Nous nous quittons confiants.
Désormais nous serons au corps à corps, terre à terre.
Germain vient de me proposer l'affection plutôt que l'amour.
Mes nuits sont peuplées d'aventures et de rêves beaucoup plus doux qu'autrefois. Quelqu'un m'aime, j'ai un futur, des perspectives, je vais pouvoir entrer dans l'infini du monde sans crainte du vide.
Je me mets à craindre "la soupe aux hommes", l'idée de perdre ma liberté commencer à me hanter. Lara me fait réfléchir sur l'importance de devenir qui je suis, de trouver qui je suis, avant de pouvoir partager mon existence avec quelqu'un.