Pendant qu'il rentrait chez lui, la pensée de la laideur et du caractère contre nature de cette prétendue culture aristocratique ne quittait pas Werner. Deux hommes se haïssaient. N'aurait-il pas été plus beau qu'ils s'empoignent, s'affrontent au corps à corps, pressent l'une contre l'autre leurs chairs fiévreuses, mêlent leurs souffles ardents et cherchent à se faire mal, à se blesser, comme le font les jeunes paysans à l'auberge ? Au lieu de quoi, ils se serraient la main en souriant. « Merci bien, au revoir. » Pfui !
- Comment allez-vous ? demanda-t-il poliment au baron.
- Mal, répondit le baron, mal tout simplement. Je n'ai pas fermé l’œil de la nuit. Des douleurs insensées. Que voulez-vous, c'est ce satané vent de dégel !
- J'en suis désolé, dit Werner avec un peu de raideur.
- Vous en êtes désolé, pasteur, continua le baron. C'est naturel. Vous êtes compatissant. Cela fait partie de vos fonctions. Mais ce n'est pas d'une grande aide. Savez-vous ce que j'aimerais entendre pour changer ?
- Quoi donc ?
- Que lorsque je me plains d'avoir mal quelqu'un me réponde du fond du cœur, j'en suis heureux, du fond du cœur, vous comprenez. Ça apporterait un peu de nouveau pour une fois. Ce serait amusant.
- Quelqu'un qui, par bonheur, serait difficile à trouver, remarqua Werner.
Le baron fit la grimace : Qui sait ! Un héritier cupide peut-être.
On se croit douloureusement lié à quelqu'un, on croit qu'on est très proche et puis chacun va son chemin et ne sait pas ce qui se passe en l'autre. Tout au plus chacun salue l'autre du fond de sa solitude.(p.166)
Pourquoi, se disait Werner, pourquoi cette femme est-elle si profondément et si terriblement inscrite dans ma chair ? Que représentait-elle pour lui ? Que pouvait-elle représenter pour lui ? Qui était-elle pour enfiévrer chaque fibre et chaque nerf de son corps. Il se tenait là, caché dans les buissons, affamé de cette femme, affamé comme il ne l'avait encore jamais été. (p.114)
Tout au long de l'année elle me faisait répéter un morceau pour en faire la surprise le jour de l'anniversaire de mes parents. Mais quand arrivait l'anniversaire en question plus personne ne voulait l'entendre. C'est pareil avec l'exercice de la vertu. On s'exerce, on s'exerce- pour qui ? (p.148)