D'eau et de sang

L'étonnante épopée de l'arche de Noé

Métaphore sur l'éternel combat du bien contre le mal, évocation de la barbarie qui ensanglante les siècles, D'eau et de sang est un roman halluciné reconstruisant sous la forme d'une fable épique l'étonnant destin de l'arche de Noé. Nous sommes en l'année commençante du poisson, dans le royaume d'Ubab dirigé d'une main tortionnaire par le roi Utlur, fils et petit-fils de barbares avides d'orgies et de massacres. Trois fléaux vont successivement décimer la région laissant impuissants les redoutables médecins-sorciers appelés zadus: la «Démence de la Viande» transmise par des bovins devenus fous après contamination, la «Maladie du Sexe», sorte de sida des temps anciens, et le désastre de la «Pluie rouge» dont les ravages seront d'une stupéfiante intensité. Au milieu de ce chaos où la montée des eaux annonce le Déluge, surnage Eon, un humble paysan qui pratique un monothéisme abstrait et qui, refusant la cruauté du monde et son cortège de signes, communique avec sa femme et ses enfants dans un «urbuh archaïque mêlé de locutions du pays, pauvre, consonantique, sec, sans nuances». Voulant sauver sa famille du malheur liquide, il s'introduit auprès des puissants conseillers du tyran (en devenant notamment l'assistant sournois de l'infâme Mungulu, le zadu qui rêve de créer une nouvelle race d'hommes débarrassés de sang impur), et ce à seule fin de construire une nef, synonyme de fuite vers un ailleurs plus démocratique. le combat de la ruse contre l'intolérance se révélera titanesque, et les épreuves endurées par Eon dignes du voyage d'Ulysse.

Pour décrire cet univers totalitaire où tout mode d'expression est banni, Lucien Elia a jalonné son récit de métaphores puissantes, mais n'utilise pas le moindre dialogue, enserrant son lecteur dans une nasse syntaxique, en sorte que la raison l'emporte sur la force brutale des sens. Utopique, la quête d'Eon nous apparaît ici dans sa généreuse démesure, et Lucien Elia, magnifique prosateur, un romancier d'une exemplaire dignité morale.

Par Jean-Rémi Barland

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