Pierre Soulages rendait hommage il y a deux jours à l'historien médiéviste
Jacques le Goff qu'il avait rencontré à Conques : « Nous nous sommes véritablement rencontrés à Conques dans cette abbatiale Sainte-Foy au sein de laquelle j'ai recréé les vitraux. […]
Jacques le Goff a défendu l'intervention de l'art contemporain dans les monuments du passé car une oeuvre du XXè siècle, disait-il, peut être fidèle au XIè ou au XIIè siècle tout en lui apportant un éclairage nouveau. Son soutien, son regard et sa façon inouïe de donner une épaisseur à la vie médiévale sont inoubliables, tout comme son attention aux êtres aux autres. »
En écho à ce propos, ce catalogue de 2003 paru à l'occasion d'une exposition à la Bnf de son oeuvre gravé où Soulages revient sur cinquante ans de création dans un entretien avec
Pierre Encrevé. Il évoque la démarche qui fut la sienne à Conques et son approche créatrice qui permettent de mieux saisir l'homme peintre, créateur de vitraux ou d'estampe. Pour les vitraux de l'abbatiale Sainte-Foy, il raconte en effet que n'ayant trouvé nulle part la qualité de verre qu'il espérait, il s'est mis lui-même à le fabriquer : sept ans (1987-1994) seront nécessaires pour finaliser l'oeuvre de Conques. En devenant créateur du propre matériau de son oeuvre, il met ses pas dans ceux qui l'ont précédé au Moyen-Age, ce qu'a si bien perçu
Jacques le Goff. Un livre très important de ma bibliothèque : paroles d'un grand artiste.
Dans l'ouvrage,
Pierre Soulages explique que cette démarche de Conques est celle qui a conduit aussi sa pratique de l'estampe, conçue comme création originale pure. Traditionnellement une eau-forte est une oeuvre issue d'une matrice gravée dont c'est l'empreinte finale sur papier qui révèle l'intention artistique. La division des tâches est telle que plusieurs personnes peuvent les effectuer (c'était le cas autrefois) : dessin sur une plaque de cuivre vernie à l'aide d'une pointe, morsure à l'acide puis encrage et impression. A partir de 1957,
Pierre Soulages voit dans chaque étape une possibilité de création : son travail radical sur la plaque de cuivre, par exemple, laisse soudain la place à l'imprévu, à l'accident par l'usage prolongé qu'il fait de l'acide sur cette matrice (jusqu'à la trouer par corrosion excessive), montrant que c'est la totalité d'une expérience créatrice qui l'intéresse dans le processus de réalisation d'une oeuvre. L'intervention d'un « hasard accepté » comme il le nomme devient déterminant. le même impératif accompagne la lithographie et la sérigraphie. Il devient l'inventeur de ce qu'
Emmanuel Pernoud, qui signe également un essai dans le catalogue, appelle « L'estampe matricielle ».
Pierre Soulages prend ainsi une place novatrice majeure dans la création d'estampe, équivalente à celle qu'il occupe en peinture. L'artiste n'établit d'ailleurs aucune hiérarchie entre les deux arts. La plupart de ses estampes sont créées entre 1957 et 1974. le tournant pris par sa peinture après 1979, la période qu'il appelle « outrenoir », laisse supposer des relations fortes entre la peinture et l'estampe qui sont également commentées et analysées dans l'ouvrage par
Pierre Encrevé, auteur du catalogue raisonné de son oeuvre peint.
Chez Soulages, ce qui unit l'oeuvre gravé, l'oeuvre peint et les vitraux de Conques, c'est la lumière comme instrument et comme recherche.
L'oeuvre gravé de Soulages est entièrement reproduit ici sous sa direction et invite à réfléchir sur l'art abstrait (formulation qu'il trouve « désastreuse » !) : 118 oeuvres à la date de cette exposition organisée par la Bnf du 27 mai au 31 août 2003 : 43 eaux-fortes, 49 lithographies et 26 sérigraphies. Des estampes très rares, des Merveilles.