Battler Britton

Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il n'est nul besoin de disposer de connaissances préalables sur le personnage principal pour pouvoir l'apprécier. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2006, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Colin Wilson, avec une mise en couleurs de Jeromy Cox. le tome commence par une page de texte écrite par Garth Ennis, servant d'introduction, rappelant l'historique éditorial du personnage Battler Britton. le scénariste explique aussi son histoire personnelle avec ledit personnage, quand il a lu ses aventures, et laquelle l'a le plus marqué.

L'histoire se déroule au début d'octobre 1942, dans le désert égyptien, au sud-ouest d'Alexandrie. le commandant Robert Hereward Britton (surnommé Battler Britton) et son escadrille (3 autres pilotes : Mick, Patch et Taff) sont affectés sur une base américaine pour servir de conseillers. Dès l'atterrissage sur cette base (à bord de leurs Bristol Beaufighter), la tension entre les 2 équipes est palpable, au point que le commandant Britton et le major Gilhooley en viennent aux mains dès les premières minutes. Ils sont séparés et le colonel Masters (responsable de la base) exige de parler à Britton et Gilhooley en privé, sur le champ. Il insiste lourdement sur le concept de coopération et demande quand peut commencer la première leçon. Britton propose d'organiser un raid aérien sur un dépôt de carburant et de munitions (situé à El Fuqa) dans l'après-midi. Il réunit les pilotes anglais et américains à l'extérieur et leur explique la stratégie à adopter, en particulier les américains devront couvrir les anglais en restant plus haut dans le ciel.

L'opération a lieu, un pilote anglais meurt sous le tir des canons antiaériens, la couverture des américains se montre trop lente. La prise de bec de retour à la base est assurée. La coopération en a donc pris un coup dans l'aile, mais les opérations communes doivent continuer, et les tirs de défenses des allemands restent efficaces. En outre, les troupes allemandes disposent également d'une couverture aérienne à base de Stukas (Sturzkampfflugzeug).

Dès le début de sa carrière, Garth Ennis a intégré des références à la seconde guerre mondiale et à des batailles de guerres célèbres. Avec cette histoire, il rend hommage à l'une des séries qui l'a marqué dans son enfance, et à un personnage récurrent en particulier : Battler Britton (il revient même sur ce qui a valu un tel surnom à cet homme). Ce scénariste lisait des bandes dessinées anglaises, et en particulier les magazines de prépublication comprenant des histoires de guerre, comme celle de Battler Britton, mais aussi le magazine où paraissait Charley's war de Pat Mills & Joe Colquhoun. Par la suite, il continuera d'intégrer des références de guerre dans ses différentes séries, et d'y consacrer même deux séries spécifiques : Battlefields et War Sories.

Dans le cadre de ce récit, l'auteur est un peu plus cadré puisqu'il doit faire honneur à un personnage déjà existant. Il ne sacrifie pas pour autant le contexte historique. Dans la première page, quelques brefs encadrés de texte rappellent l'avancée de l'armée allemande en Afrique du Nord. La fin du récit évoque l'importance des missions menées par Battler Britton et le major Gilhooley, juste avant une célèbre bataille dans ce coin du globe. de la même manière, il a effectué le travail de recherches de référence nécessaire pour que chaque pilote vole dans l'appareil qui était utilisé à l'époque, les Beaufighter pour les anglais, les Curtiss P-40 Warhawk pour les américains, et les Stuka pour les allemands. Il évoque différentes techniques d'attaque et de défense aériennes, en particulier des formations prises par les avions.

Cette approche reposant sur l'exactitude historique met le dessinateur à forte contribution. Cela signifie que Colin Wilson a dû lui aussi effectuer un important travail de recherches pour ne pas commettre d'erreur sur le modèle des avions, sur la tenue militaire de chaque armée, et même sur les installations des campements dans le désert. de ce point de vue, l'artiste a bien fait son travail : soit le lecteur retrouve des modèles qu'il connaît déjà, soit il peut accorder sa confiance dans ce qui est représenté comme étant authentique. En plus de ce travail conséquent pour être rigoureux, il doit représenter de nombreux combats aériens, et autres évolutions dans le ciel. Il s'agit d'un type de séquences parmi les plus difficiles à représenter. le dessinateur doit concevoir ses prises de vue et son découpage de manière à suivre plusieurs avions concomitamment, il doit donner une idée de leur placement les uns par rapport aux autres, ainsi que de l'évolution de ce placement, alors même qu'ils se passent dans un ciel vide et sans repère fixe. Il doit aussi s'assurer que le lecteur identifie facilement chaque personnage, alors qu'ils portent tous le même uniforme, et dans le cas présent un masque à oxygène leur cachant le visage.

Le lecteur comprend vite qu'il peut repérer les avions grâce à leur marquage sur les ailes, avec les couleurs soit des États-Unis, soit de l'Angleterre, soit de l'Allemagne, et ce même s'il ne sait pas distinguer les modèles d'avion. Il comprend facilement la progression de chaque avion par rapport au sol, en particulier par rapport à l'objectif à bombarder. Par contre les pilotes ne sont pas tous immédiatement identifiables, Ennis ne faisant pas toujours l'effort de clarifier qui parle dans chaque vignette. Pour les combats aériens, l'auteur fait expliquer par un personnage ou par un autre quelle stratégie va être utilisée, qui doit se placer où, dans quelle formation. de ce point de vue, les dialogues viennent éclairer les dessins. Par contre, quand les avions commencent à évoluer les uns par rapport aux autres, il arrive que le lecteur perde le fil de qui se situe où, car Colin Wilson ne parvient pas toujours à trouver la bonne succession d'angles de vue pour ne pas perdre le lecteur dans cet exercice périlleux. du coup, ce dernier doit parfois patienter 2 ou 3 cases, ou attendre la fin de l'affrontement pour comprendre qui a été descendu en flammes, qui a sauvé qui.

L'artiste est confronté à une autre particularité défiant la représentation : le récit se déroule dans une zone désertique. Il y a une moitié des séquences qui se déroulent dans une base ou dans une autre, fournissant des éléments de repère visuels que l'artiste représente avec une bonne densité d'informations visuelles, permettant au lecteur de se plonger dans ces environnements. Pour le sol du désert, l'artiste se montre assez convaincant, soit avec des traits à la frontière entre figuratif et conceptuel pour évoquer les dunes, le relief du terrain (avec une mise en couleurs discrète et en phase avec cette approche), soit avec des reliefs rocheux introduisant des gorges ou un relief vallonné. Au final, le lecteur n'en ressort pas avec l'impression d'un grand vide générique page après page, mais d'un désert avec peu de relief, et de cieux dégagés. Il y a également quelques séquences de nuit, dans lesquelles Colin Wilson maîtrise bien le niveau d'éclairage, entre noir d'encre, et luminosité de la voûte étoilée.

Dans cette distribution 100% masculine, Colin Wilson représente des individus à la carrure rendue plus épaisse par le port de blouson d'aviateur, aux visages marqués de rides de fatigue, leur donnant une apparence d'hommes ayant déjà vécu, de soldats avec de l'expérience, sans pour autant être d'un cynisme à tout crin. Garth Ennis leur écrit des dialogues exprimant leur attachement à bien faire leur métier, leur antagonisme contre ceux qui leur manquent de respect, et une sorte de camaraderie bourrue, entre aviateurs de la même escadrille. Par contre, les soldats allemands ne sont pas humanisés, ils sont juste des ennemis à abattre, et parfois des ennemis infligeant des pertes.

Comme le lecteur peut s'en douter, la franche inimitié entre Battler Britton et Gilhooney va évoluer vers un respect mutuel au fil du récit. Sans beaucoup de surprise non plus, Battler Britton dispose des meilleures scènes et effectue les actes de bravoure les plus impressionnants. Néanmoins le récit n'est pas si manichéen que ça. Au fil des échanges, Battler Britton et Gilhooney s'humanisent, avec une histoire personnelle de ce dernier inattendue. Ennis évoque en passant les contraintes pour les pilotes en fonction de leur matériel, des limites de leurs avions. Il parle un peu de technique aérienne, et de stratégie. Il prend le temps de faire interagir anglais et américains, tout en montrant que la fraternisation ne va pas de soi. Il développe également un thème un peu plus délicat qui est celui de la responsabilité du chef d'escadrille vis-à-vis de ses pilotes, et des éventuelles morts au combat.

Ce récit n'est pas aussi personnel que ceux des séries War Stories et Battlefields, car il s'agit de rendre hommage à un héros récurrent d'une bande dessinée anglaise. Néanmoins, Colin Wilson effectue un travail de reconstitution historique très professionnel, et il n'y a que les scènes de bataille aérienne qui ne soient pas tout à fait assez compréhensibles. Garth Ennis remplit son contrat de faire honneur à Battler Britton, sans pour autant se cantonner à un récit d'aventures, car il sait faire passer plusieurs aspects de la vie de pilote d'avion de guerre, devant remplir des missions de destruction, pouvant voir surgir l'ennemi dans un ciel dégagé, pouvant se retrouver planté dans le désert, derrière les lignes ennemies.