L'
Électre d'
Euripide est très différente de ses consoeurs d'
Eschyle ou de
Sophocle. C'est à se demander si ces trois-là nous content la même histoire tellement la personnalité de l'héroïne semble différente.
Elle est plaignante et procédurière chez
Eschyle, rebelle et guerrière chez
Sophocle et... simplement humaine et désireuse du respect du droit chez
Euripide.
D'ailleurs, dans toute la pièce d'
Euripide, on ressent un soucis d'authenticité, de crédibilité, d'identification maximale du spectateur de l'époque avec cette héroïne. Oui, c'est une fille de roi, oui, elle était belle et désirable, promise à un somptueux avenir, et oui elle a chuté, oui, il lui arrive des misères, oui elle se retrouve tondue et à partager le quotidien d'un laboureur. Cela pourrait vous arriver à vous aussi.
C'est de cette manière-là qu'
Euripide interpelle son public. Et son message pourrait être : savoir rester humble dans l'opulence et digne dans le dénuement.
Électre ne réclame rien de plus que ce qui est juste. Bien évidemment elle espère le retour de son frère
Oreste, l'ultime espoir de sa lignée, mais elle se résigne, elle essaie d'être une épouse correcte et une bonne maîtresse de maison car elle a de la reconnaissance pour ce mari paysan qui la respecte et qui est un homme droit.
On comprend bien que pour
Euripide, la grandeur d'âme n'a rien à voir avec le montant des richesses ou la noblesse de l'ascendance. C'est quelque chose de plus intime, de plus équitablement réparti dans la population, comme semé à tous vents par les mains des dieux et nul ne sait jamais sur qui la magnanimité tombera.
Il en va évidemment de même pour Clytemesnestre, l'épouse maricide, et Égisthe, son nouveau mari, auteur de l'homicide contre
Agamemnon, le père d'
Électre et d'
Oreste, qui l'un et l'autre, ne savent ni rester humbles ni appliquer la justice. Certes, vous profitez, l'un et l'autre de votre crime, mais rira bien qui rira le dernier. Ne vous êtes-vous pas mis sur le dos une grave faute qui vous a fait dévier du droit ? Alors qu'espérer de bon hors des rails de la Justice...
Signalons au passage qu'
Euripide chahute gentiment mais surement son devancier
Eschyle en ridiculisant le procédé d'identification d'
Oreste par sa soeur. Chez
Eschyle,
Électre avait reconnu son frère grâce à une mèche de cheveux et une trace de pas.
Euripide démontre que la couleur des cheveux n'est en rien un argument convainquant pour associer un frère et une soeur et de même que l'empreinte d'une semelle, déjà sur un sol pierreux, c'est moyen comme preuve, mais en plus, relier infailliblement la taille du pied d'une demoiselle à celui de son frère a quelque chose d'assez saugrenu. Bam ! Prend-ça dans les dents papa
Eschyle ! Bon c'est vrai que le coup de la semelle, c'est le talon d'
Eschyle...
Bien évidemment, pour le lecteur d'aujourd'hui, il est difficile de se représenter tout ce que le théâtre d'
Euripide a de novateur, mais c'est justement en le comparant à ce qui se faisait à la génération d'avant (
Eschyle puis
Sophocle) qu'on constate toute l'étendue des bouleversements apportés.
Euripide modernise considérablement tant le propos que la forme. Il a quasiment créé les actes au théâtre. Il y a beaucoup plus de dialogues que de longues répliques chantées. À beaucoup d'égards, je considère qu'
Euripide fait du théâtre là où
Eschyle faisait de l'opéra. le propos est également plus dense et plus philosophique.
Pourtant, ce n'est pas ma pièce favorite d'
Euripide, mais il demeure une pièce très correcte de théâtre antique qui satisfera tous ceux qui ne sont pas rebutés par les choses un peu anciennes. (En effet,
Euripide, certains l'auront remarqué, c'est un peu ancien, ça frise les 2500 ans d'âge.)
Un grand classique de la tragédie grecque, très intéressante pour les comparaisons qu'elle permet avec les autres avatars d'
Électre rescapés chez les autres tragédiens contemporains. Mais ce n'est bien évidemment qu'un avis, c'est-à-dire, bien peu de chose face aux vingt-quatre et quelque siècles du haut desquels cette pièce nous contemple...