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Citations sur Haute solitude (27)

Maintenant, dans ces semailles de la ville, dans ce gâteau de miel où les maisons rentrent leur ventre, ces maisons qui louchent par leurs yeux d'hommes, maintenant, je ploie à droite, à gauche. J'ai commencé jeune cette vie de pierre foulée, cet interminable monologue le long des chemins de halage. J'ai enfilé ces boulevards, j'ai frôlé en série ces portes ouvertes. Souvent, des filles glacées, aux bouches béates comme des fruits, apparaissaient sur les seuils en sautillant, pareilles aux coucous des pendules. Filles blêmes et roses comme les dragées de plâtre des baptêmes de pauvres. Elles avaient l'air crachées par la cave et déposées là, comme des chrysalides chlorotiques, inventées pour remuer jusqu'à l'épais l'âme des passants, des solitaires et des ivrognes. Alors, déjà, je cherchais ce que je n'ai pas trouvé. Cette découverte doit-elle se faire dans l'espace, ou dans le temps ? Quand tombera de l'Inconnu l'avertissement ? Quelle porte s'ouvrira dans le flanc d'une mêlée de maisons ? Quelle voix appellera soudain ? Oui, quelle voix, pour que je me retourne...
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L’érythème du Diable

….Et le Diable passe partout, se glisse dans les plus simples entreprises. Nous ne voulions plus croire en lui ? Nous l'avions chassé de nos soupentes, de la littérature, des arts, nous avions pulvérisé ses toiles d'araignée au fly-tox, nous avions pompé le démon dans les flaques de l'amour et vidé les philtres ? Bon. Et voilà que le Diable se venge en nous murmurant que vendredi ne sera pas comme jeudi. Il nous laisse entendre que nous pouvons changer notre destinée si nous nous donnons un peu de mal, que les impuissants pourront demain faire des cartons, que la gloire, l'ardeur, la santé, valent à peine un morceau de pain. Le Diable s’est fait inquiétude et profite de notre lâcheté. Il joue sur notre lâcheté. Il spécule sur notre faiblesse. Il nous contourne et nous enchaîne, il nous éclabousse d'élixirs aveuglants….
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 Je parle et j’écris pour tous ceux qui marchent comme moi, courbés dans leur vie. Ils s’arrêteront comme moi, ils se retourneront sur ces chemins, sur ces sentiments qui s’enrobent doucement dans la nuit. Ils songeront, ils tâcheront de comprendre et d’emboîter leur histoire dans l’immense jeu de patience mouvant de la vie terrestre. Et peut-être qu’un jour, peu à peu, quelqu’un, dans les siècles des siècles, arrivera à remonter patiemment, par petites secousses intérieures, par infiltrations, par viols feutrés, à pas de loup, comme un chasseur exercé qui s’approche sans faire même le bruit d’une respiration imperceptible, à remonter jusqu’au début de la rafale qui nous a jetés sur la terre, à toucher timidement, mais à toucher enfin l’écume de l’immense cataracte du départ...
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Les volcans saignèrent dans l'eau crissante.
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Mais dans ce monde de rhododendrons à cinq pattes, d'oiseaux lourds ornés de fils télégraphiques et surmontés de palettes d'yeux, dans le sillage des pachydermes fumants qui se déplaçaient lentement comme des églises, le long des forêts d'iode et de chasse-neige où les squelettes pendaient comme des fruits, parmi les araignées géantes, bossuées de cornes, pesantes de mamelles, dans le calme de la première rosée blonde, des premières vapeurs, des premiers typhons, peureux comme une gazelle, maladroit, inoffensif et lâche, un Monstre bizarre se manifestait parfois, une sorte de machine plutôt qu’un animal, presqu’une construction, quelque chose de singulièrement développé et de singulièrement stupide, un mélange solennel de bête fine et d’oiseau podagre, une plante réussie, parfaitement vulnérable et parfaitement désirable, un ennemi de tout, pousseur de cris, chercheur de querelles, incapable de vitesse, de précision, de patience, de flair, ignorant des vents, mourant jeune, forme enrhumée, bigle, industrieuse et mélancolique: l’Homme.
Et puis, le ciel devint plus doux. Les pâturages bleuirent. Le mastodonte apparut lentement le long des mamelons, comme un immense vaisseau de cuir, secouant dans le soleil ses oreilles toutes sonores de parasites. Des potassons, des dépotames et des dilépothèses sortirent des fleuves en ouvrant des mâchoires d'orgue. L'hipparion bondit sur un pré, boulu comme un cheval antique, et les singes commencèrent à se dévider le long des arbres. Rendu rêveur par les panthères, par le zébu triste comme un vieux ministre oublié, par les arbres à goupules, par les pictoles juteuses, l’homme entrevoyait parfois le chien, le chat, le pissenlit, le ver à soie, le machaon, le carabe et le pigeon voyageur.
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Plaidoyer pour le désordre

….Attention, pourtant. Le désordre n'est pas le contraire de l'ordre. De même que l'ordre n'est pas un arrangement, le désordre n'est pas un dérangement. Le désordre, ce n'est ni la tempête, ni la vibration des vitres secouées par les roues des véhicules, ni la tête à l'envers, ni la charrue avant les bœufs. C'est la vie même. L'ordre suppose l'apparence des disciplines, des immobilités, des tombes, des lois, des structures, et ne donne naissance qu'à des iconoclastes. Car la fatalité de l'ordre, c'est l'invitation à la débandade, à l'injure, aux fêlures et au dégel. L'ordre, c'est le Dieu statique. Tandis que le désordre, tel que le comprennent les âmes véritables, c'est l'homme en mouvement.L'ordre ne permet rien. Il termine la course des impressions et des courants comme un butoir. C'est la gare où l'on arrive. En revanche le désordre, c'est la gare d'où l'on part. L'ordre s'appelle terminus et le désordre se nomme évasion. L'ordre, c'est la table de multiplication. Le désordre, c'est Victor Hugo. La guerre est du domaine de l'ordre, car elle tend à une fin, à des limitations, elle suppose des hiérarchies, des organismes, des groupements. Mais un beau jour d'été, au bord de la Marne, les coudes dans l'herbe juteuse, les yeux noyés dans la flottille des insectes d'eau douce, la nuque grillée, le cœur inondé de rythmes, c'est un jour de désordre….
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Horoscope

…. Mon signe est celui des holacanthes, zèbres de mer, hénioques, ptéroïs en barbelé, cerniers squameux, barbiers à ventouses, qui ont le mufle si bleu qu'il paraît rasé de près. Je vis en compagnie d'hommes de mer, d'écrivains pour jazz, d'astronomes, de magnétiseurs, de physiologistes, de marchands de tabac et d'hôteliers. Ce sont mes frères secrets, que hante le même grouillement d'étoiles maternelles. Tous ces compagnons de mon instant vivent de la même vie, boivent de la même bière, aiment la même femme, meurent de la même mort.
J'ai un chiffre, un jour, une pierre, un climat, des plats préférés, des poires pour la soif, des allées et venues de prédilection et des vices que je ne confonds pas. Je sais que je devrais choisir mes amis dans le cancer ou chez le scorpion, mes maîtresses chez la vierge, le taureau ou le capricorne. Je me doute un peu que tout était prévu, depuis l'allumeur de réverbères qui chaque soir m'éclaboussait de vieille paille quand je revenais du
lycée, jusqu'aux trains qui arrivent en retard, et aux huissiers qui m'attendent comme des sentinelles au tournant des semaines et des années. Tous les censeurs, contrôleurs d'autobus, chauffeurs de taxi
soudain en panne, concierges bibliophiles, sont mes compagnons de route ; comme les averses inattendues, les rues que l'on ne trouve pas, les peaux de bananes, et les étreintes brusques, longtemps désirées, mais sur lesquelles on ne comptait plus, sont des cadeaux.
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Et puis, le sommeil descendant sur nous comme le rideau de fer d'une boutique qui ferme, je rentre rue Scheffer, sans faire le moindre bruit, dans le jardin qui se glace de bleu comme l'aile du grand Sylvain, je monte sans rien émouvoir, et, sur trois déclics, chauffé par la tête qui ne veut plus dormir, je m'installe lentement pendant que le jour s'entrouvre au rossignol qui se gargarise avec le moût pâle du ciel. Et je note absurdement pour couvrir de cendre ce cœur qui peine, cette main inquiète, le métier d'insecte d'une journée.
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Les fenêtres, de toutes parts, me regardent, se regardent d'une pièce à l'autre, chuchotent, rêvent en chemise, jouent au fantôme, boivent une couleur, disent la messe à l'autel d'en face, à des bras nus qui roucoulent et se reprennent, à la rose de la chaleur , au verre fumé d'un nuage.
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Accoudé


Extrait 2

  Mais nous serons forts, mon âme. Je serai le boulon et toi l'écrou,
et nous pourrons, mille et mille ans encore, nous approcher des vagues ;
nous pourrons nous accouder à cette fenêtre de détresse. Et puis, dans
le murmure de notre attente, un soir pathétique, quelque créature viendra.
Nous la reconnaîtrons à sa pureté clandestine, nous la devinerons à sa
fraîcheur de paroles. Elle viendra fermer nos yeux, croiser nos bras sur
notre poitrine. Elle dira que notre amour, tout cet amour qu'on n'a pas vu,
tout cet amour qu'on a piétiné, qu'on a meurtri, oui, que notre amour n'est
plus que notre éternité.
  Alors, mon âme, tandis que je serai allongé et déjà bruissant, tu iras
t'accouder à la fenêtre, tu mettras tes beaux habits de sentinelle, et tu
crieras, tu crieras de toutes tes forces !

             On entendra
             Qui est cet On ?
             Qui ? demandes-tu ?
             Mais toutes les âmes le savent.
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