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Critique de coincescheznous


Écrire un billet sur ce livre n'est pas chose aisée. D'abord parce que l'oeuvre de Faulkner est très particulière et qu'il est compliqué de parler d'un de ses livres sans évoquer les autres, ensuite parce que Lumière d'août est un très grand livre et qu'il n'est jamais facile de traiter de tels ouvrages sans tomber dans les superlatifs un peu creux.

William Faulkner est l'un des fondateurs de la littérature avant-gardiste américaine. Un géant des lettres dont le travail fut couronné par un Prix Nobel de littérature en 1949, le National Book Award et par le Prix Pulitzer. Pourtant Faulkner est longtemps resté un écrivain méconnu et reclus, vivant de petits boulots pour se consacrer à son oeuvre restée longtemps incomprise et confidentielle. Les éditeurs lui refuseront même pendant plusieurs années la publication de deux de ses oeuvres majeures : le bruit et la fureur et Tandis que j'agonise.

C'est que l'écriture de Faulkner ne se donne pas facilement. Faulkner est un écrivain expérimental. Ses récits sont polyphoniques (plusieurs personnages s'expriment) et jouent avec des temporalités qui se mélangent. Ses phrases poétiques et mystérieuses s'allongent parfois démesurément. Surtout, Faulkner est célèbre pour ses monologues intérieurs. Les sensations et la mémoire y prennent autant de place que l'action, comme si le lecteur rentrait dans la tête d'un personnage – généralement torturé – et découvrait sans intermédiaire ni explication ses vagabondages d'esprit. En bref, Faulkner tente de dépasser les canons du roman traditionnel et de la conduite classique d'un récit en privilégiant une expérience de lecture basée sur le ressenti de ses personnages.

Faulkner est aussi un écrivain du sud américain. La très grande majorité de son oeuvre prolifique se situe dans le Mississippi où il invente le comté de Yoknapatawpha. C'est une terre dure et violente. Une terre où la ségrégation est encore présente sous diverses formes et qui est hantée par la défaite de la guerre de sécession. Une terre de soleil, de chaleur, qui offre de si belles lumières et une nature fertile, mais aussi une terre de pourriture, de dégénérescence et de poussière. A travers l'ensemble de ses récits, dans ce microcosme qu'il a travaillé toute sa vie avec une très grande minutie, Faulkner a créé un monde. Ses aficionados peuvent ainsi s'amuser à reconstituer la carte du Yoknapatawpha ou l'arbre généalogique des différents protagonistes de ses romans, tous reliés les uns aux autres.

Lumière d'août se présente dans ce cadre comme l'un des romans les plus classiques de l'auteur. Moins déroutant à la lecture que le bruit et la fureur ou Tandis que j'agonise mais tout aussi puissant – peut être même plus à mes yeux car la forme compte moins que le fond. le corset expérimental se desserre et laisse le texte vivre sa propre vie et s'exprimer à plein sans présupposé stylistique.

Il est assez difficile de résumer la trame de l'ouvrage.

Disons qu'elle s'articule autour d'un assassinat et d'une naissance, la mort et la vie.

Une jeune femme enceinte jusqu'aux yeux traverse le pays pour retrouver l'homme qui l'a engrossée. Un homme au passé complexe tue la femme avec laquelle il entretenait une relation étrange et sensuelle. Une époustouflante galerie de personnages accompagnent ces deux ‘'héros'' dont, entre autres, un pasteur sans église ni fidèle, un amoureux transi, un père adoptif autoritaire et bigot, des parents traumatisés par la mort de leur fille…

Le livre baigne dans l'ambiance déliquescente d'un sud post-ségrégationniste à l'époque de la prohibition. Les hommes y sont mutiques, fiers et durs. Tout est violence rentrée, non-dit, déni. Une chape de plomb aussi étouffante que le soleil d'août plane au dessus des têtes. Faulkner remonte le fil du temps pour chacun des personnages de son récit et nous fait comprendre son drame intime, sa blessure ou sa damnation. Les âmes pourtant ne sont pas faibles ou sans humanité, bien au contraire. Les humains souffrent comme dans les meilleures tragédies grecques, mais ils acceptent leur sort en le regardant en face et sans se plaindre. Il y a une grandeur d'âme évidente chez ces personnages pris dans les affres de destinées inéluctables.

Et puis il y a la langue pour conter cela. Parfois sèche et rugueuse, parfois déliée et poétique, parfois inventive et complexe, parfois simple et percutante, mais toujours d'une époustouflante puissance, d'une maîtrise et d'une densité comme on en lit que très rarement. L'ambition lyrique de la plume ne fait que décupler la violence du récit et donne corps à un monde terrible et beau à la fois. La construction du récit est éblouissante. J'ai rarement lu un ouvrage réalisé avec autant de maestria pour jouer avec le temps et faire ressentir ainsi le poids d'un passé sur une vie, la marque du destin sur une trajectoire.

Pas facile de lire un autre roman après celui là sans le trouver un peu fade.



Tom la Patate
Lien : http://coincescheznous.unblo..
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