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Ma première rencontre avec William Faulkner, il y a une douzaine d'années, n'avait pas été des plus agréables : le Bruit et la Fureur, un livre pour le moins ardu, pénible à lire et plus encore à comprendre, à la fin duquel vous êtes tout juste prêts à le relire tellement il est clair comme du jus de boudin.

De plus, j'avais été globalement déçue par le Bruit et la Fureur car, une fois le puzzle remis dans l'ordre, ce qui n'est certes pas une mince affaire, l'histoire ne m'apparut pas si époustouflante que cela.

Il en est allé tout autrement ici pour moi avec Lumière d'août. Je ne vais pas en faire mystère, c'est un livre que j'ai trouvé en tout point supérieur, non, très supérieur, à l'autre : plus long, plus dense, plus profond, bref, plus TOUT.

L'auteur n'a pas cherché ici à nous embrouiller par une narration intriquée, mais il demeure un ouvrage REMARQUABLEMENT construit, tant d'un point de vue temporel, du timing avec lequel il nous dévoile l'action, que du point de vue des personnages, je veux dire l'agencement des personnages entre eux.

J'ai beaucoup entendu parler ou lu dans les critiques qu'avec cette oeuvre — que beaucoup considèrent comme sa meilleure —, Faulkner atteint à la tragédie, au récit biblique sous des airs de roman noir. Eh bien, je pense quant à moi, que l'auteur a réussi à composer une véritable symphonie littéraire.

Le thème principal est celui de Christmas, mais on ne le sait pas dès le début, on ne le découvre que très progressivement. Aux environs de la moitié du roman, on connaît le thème, et l'on se rend compte, ému(e), que les autres personnages, ceux d'avant, ceux d'après, ne font tous que reprendre le thème, mais ils le rejouent tous selon une orchestration qui leur est propre et qui donne une incroyable cohérence à l'ensemble, comme dans une symphonie, où si les différents instruments jouent à différents moments, jamais cela ne nuit à l'harmonie d'ensemble.

Je dois dire que cette composition symphonique est d'une ampleur rarement lue en littérature, même pas dans le grand, le phénoménal Crime et Châtiment de Dostoïevski, où si de nombreux personnages rejouent effectivement le thème, ça n'est pas aussi époustouflant comme construction. Et le thème, quel est-il ? J'ai lu à droite à gauche « le destin », oui, d'accord, mais quoi « le destin » ? J'aurais tendance, pour ma part, à avancer la notion de psychogénéalogie. C'est cela même qui me semble être au coeur du travail romanesque de Faulkner ici, notamment le fait que certains d'entre nous vont dans le mur, savent qu'ils vont dans le mur mais font quand même tout pour y aller.

En somme, l'auteur, sous des airs d'écrire un roman noir, ou un roman social, ou un roman régionaliste, ou une parabole, ou une chronique de son temps, écrit en fait, ou décrit plutôt, la mécanique d'un phénomène humain, de la psychologie humaine j'entends, bien plus vaste, bien plus universel et surtout bien plus troublant.

Vous avez tous entendu parler de ces violés qui deviennent violeurs, de ces reproductions de galères de génération en génération, de ces gens qui paraissent irrémédiablement marqués du sceau de la malédiction et qui ne font rien pour faire un pas de côté. Eh bien voilà, c'est ça Lumière d'août !

La mère de Christmas, au père impitoyable, s'est fait mettre enceinte par un vaurien de passage, Lena fait de même. le pasteur Hightower vient s'empêtrer dans une profession et un lieu où il n'aurait rien à faire, mais ce lieu, justement, cette profession, justement, lui furent comme imposés, dès avant sa naissance, par les frasques d'un grand-père peu académique.

Joanna Burden est elle aussi venue accomplir un destin qui ne lui appartient pas et qui remonte à ses grands-parents. le vieux uncle doc Hines, le jeune Percy Grimm viennent tous accomplir un destin sacrificiel et violent plus grand qu'eux, de même que le père adoptif de Christmas. Byron Bunch a l'art de venir s'empaler dans un destin pourri d'avance, tout comme Christmas...

À chaque fois la victime devient bourreau ou le bourreau victime. La malheureuse Lena, victime de Lucas Burch, devient bourreau de Byron. Byron devient bourreau de Hightower, et ainsi de suite. Tout se rejoue à intervalle, en décalé, comme dans une symphonie, tous voient la vie foirer devant leurs yeux, tous voient ce qu'il faudrait éviter, tous voient le chemin de la félicité, mais tous le refusent obstinément, comme n'étant pas encodé dans leurs « gènes » ou plutôt dans leur propre destinée familiale.

Le roman n'est pas toujours captivant à lire, mais il y a une indéniable puissance, une densité rare, une pénétration dans les côtés sombres et inexplicables de l'humain, dans l'illogique, vu de l'extérieur, mais 100 % logique dès lors qu'on sait de quel logiciel est pourvu le personnage.

En somme, un grand, un très grand roman d'après moi, pas forcément toujours du plaisir à la lecture mais des choses qui remuent, et qui continuent de vous maintenir en ébullition même après l'avoir refermé, bref, la marque des grands romans, CQFD. Chapeau bas William Faulkner et pour tout autre considération, faites-vous-en votre propre opinion en le lisant par vous même et souvenez-vous que cet avis, cette ombre de décembre, ne représente pas grand-chose face à la lumière d'août. Tenez-vous-le pour dit, même si c'est votre destin.
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J'avais fait une première tentative de lecture de William Faulkner, en ouvrant
" Sanctuaire". Diverses critiques avaient engendré en moi une certaine appréhension, car Faulkner était présenté comme un auteur "difficile".
Handicapé de cette malédiction je n'avais pas pu franchir ce Sanctuaire, et j'étais honteux, car je savais que j'étais coupable et non l'auteur. Aujourd'hui, peut être pour me dédouaner, j'ai pensé que les traducteurs ( il est dur de passer après Maurice E. Coindreau ) avaient aussi une part de responsabilité.Je le pense de plus en plus depuis que j'ai lu " Lumière d'août ".
Ne voulant pas rester sur cet échec j'ai pris au hasard ce second roman.
Ce fut comme une histoire d'amour. Au début on se remarque à peine, puis l'on s'apprivoise, on se rapproche jusqu'a ne plus penser qu'a l'autre.On vit ensemble de grands moments de joie dont on mesure l'importance que bien plus tard. Quand vient la fin.
Comme la fin de ce livre, que j'ai refermé empli d'une douce chaleur, et même si je savais que je venais de faire la rencontre d'un grand écrivain, je n'imaginais pas que longtemps après j'aurais toujours cette sensation de bonheur à l'évocation de cette lecture.
Comme une histoire d'amour...
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C'est le premier livre de Faulkner que j'ai lu, il y a très très longtemps, j'en ai gardé un souvenir ébloui ; grâce à ce roman je suis devenue une passionnée de cet auteur, et j'avais par conséquence un peu peur d'être déçue , de ne pas retrouver complètement la magie de ma première lecture.Or il n'en ai rien, je crois que j'ai encore plus apprécié ce merveilleux roman la deuxième fois.

C'est sans doute le roman de Faulkner le plus construit, celui qui se rapproche le plus peut être d'un grand roman classique. le livre s'ouvre et se ferme sur Lena, jeune femme enceinte au début de l'histoire et qui a traversée plusieurs Etats à la recherche du père de son enfant. Lena, c'est la féminité absolue et sereine, elle me fait penser à ces déesses préhistoriques de la fécondité, rien ne semble troubler sa profonde quiétude.

Et entre ce début et cette fin qui irradient cette lumière présente dans le titre, il y a la violence, l'injustice, la bêtise et la souffrance d'êtres qui n'arrivent pas à trouver leur place. Au centre, Joe Christmas, dont on découvre petit à petit la terrible histoire, qui met en évidence toutes les failles et toutes les violences de cette société du Sud, puritaine, raciste, n'acceptant pas l'altérité ni entre les races ni entre les sexes, fondée sur la haine de l'autre et la haine de soi-même en définitif.

C'est pour moi l'un de plus beaux livres qui existent, l'un de ceux qui nous marquent à tout jamais.
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Avec la publication en très peu de temps, entre 1929 et 1936, de cinq romans qui resteront parmi les plus marquants de la littérature américaine du XXème siècle (Le Bruit et la Fureur, Sanctuaire, Tandis que j'agonise, Absalon ! Absalon !, et Lumière d'Août), William Faulkner provoquera une onde de choc dans les milieux littéraires de son pays, transformant le génial écrivain sudiste en véritable icône, à l'aune duquel tout auteur ayant l'ambition de faire de la grande littérature ne pourrait désormais éviter de se mesurer, «ombre gigantesque » (selon l'expression de l'écrivain William Styron, dans une interview accordé au Monde en 1994) à laquelle à un moment ou un autre, il faudrait pouvoir se soustraire pour «tenter de s'accomplir soi-même».
LUMIERE D'AOUT est souvent considéré comme l'une de ses fictions les plus abouties. Un récit s'inscrivant dans la tradition du roman noir américain et qui, adoptant au démarrage un point de vue omniscient assez classique (en apparence seulement, le lecteur s'en rendra rapidement compte !), cherchera à retracer le parcours erratique de Joe Christmas, métis au sang noir et cependant blanc de peau, et auteur de l'homicide volontaire d'une femme blanche. Crime d'autant plus odieux et inexpliqué que cette dernière, Joanna Burden, en digne descendante d'une lignée d'Yankees égarés dans le deep south, fervents défenseurs des droits civiques des noirs affranchis et victimes à leur tour de l'hostilité de la communauté de Jefferson (ville fictive créée et située par Faulkner à proximité de Memphis), aura dédié l'essentiel de sa vie à elle à soutenir l'émancipation de la communauté afro-américaine abandonnée à son sort depuis la défaite sudiste de 1865. Meurtre sans aucun autre mobile possible que l'histoire elle-même, la psychologie, les traumatismes et humiliations subis par Joseph Christmas dans le contexte d'extrême violence raciale en vigueur dans les Etats du sud, ici le Mississipi natal de l'écrivain, où son personnage avait vu le jour, avant d'être rejeté et abandonné par la famille blanche de sa mère. Climat de violence encouragé enfin par la vague de puritanisme qui avait déferlé dans tout le pays, ayant abouti entre autres, durant les années 1920, à la Prohibition, à l'âge d'or des bootleggers, du crime organisé et du Ku Klux Klan.
On pourrait donc s'imaginer d'emblée que LUMIERE D'AOUT serait supporté par une intrigue somme toute relativement simple, ou en tout cas facilement repérable par le lecteur. Ce serait alors sans compter sur le talent et le style incomparables de l'auteur qui, selon la formule consacrée d'André Malraux, avait réussi à «introduire la tragédie grecque dans le roman policier». Faulkner, en effet, réussit somptueusement à transformer un propos ancré dans un territoire délimité, dans une contexte historique et socio-culturel particuliers, en quelque sorte régional, pourrait-on dire, en un récit grandiose, universel, exalté et indéniablement biblique. Il l'érige en tragédie aux accents antiques où le dénouement fatidique est déjà écrit, d'entrée de jeu et contre toute logique purement humaine, nourri par une autre, aux dimensions transcendantales et implacables, tissée sur ce même métier du fatum dont se servaient les antiques Parques. Où une galerie de personnages remarquablement dessinés (le révérend Hightower, Byron Bunch, le père McEachern, Doc Hines, Lena Grove..) par l'évocation de leurs trajectoires parallèles, croisées dans un désordre savamment orchestré par l'auteur, représenteraient également une sorte de choeur antique, chargé d'illustrer et de répercuter la descente aux enfers de l'héros tragique. Ou encore, si l'on veut bien, de la via crucis de Joe Christmas, personnage au patronyme ô combien symbolique et prémonitoire, monstre désigné (ce mot qu'il faut également entendre ici dans son sens étymologique premier : celui qui montre, révèle quelque chose au grand jour) dépassé par sa destinée, privé de tout libre-arbitre, et en même temps martyre sacrificiel, expiatoire, voué à la damnation par cette même communauté humaine qui l'avait engendré et exclu.
Summum absolu de la noirceur, rarement approché dans la littérature moderne, la lecture d'un roman comme LUMIERE D'AOUT est une expérience unique et éprouvante. A l'instar de ces rêves où l'on n'avance pas, ou alors péniblement, au ralenti, dans une quête effrénée d'abri contre une menace terrifiante et imminente, enfermés dans une atmosphère dense, hors temps, sentant le souffle ardent de notre perdition annoncée se rapprocher dangereusement derrière nous, nous espérons en vain la grâce d'une rédemption qui n'arrivera pas. Chez Faulkner aussi, le temps semble s'être figé en un seul bloc ; passé, présent et futur s'entrelacent, indissociables, se fondent, se confondent, à coup d'analepses récurrentes et tortueuses qui constitueront l'essentiel de la narration. de même pour le cheminement subjectif et la temporalité psychologique des personnages, systématiquement distordus, superposés, obturés ou, dans le meilleur des cas pour eux, carrément abolis.
«Rien n'advient -disait Sartre-, l'histoire ne se déroule pas chez Faulkner : on la découvre sous chaque mot, comme une présence encombrante et obscène, plus ou moins condensée selon les cas.» Ainsi, Christmas, quinze ans après avoir réussi à rompre avec les liens empreints de violence de son passé, avec ses parents adoptifs et son premier et malheureux amour de jeunesse, gardera-t-il le sentiment d'emprunter toujours la même rue où il s'était engagé après avoir passé définitivement la porte et avoir un instant espéré pouvoir changer sa vie. «La rue passa à travers les Etats d'Oklahoma et du Missouri, descendit au sud, jusqu'à Mexico, puis remonta au nord, à Chicago et à Détroit avant de redescendre encore pour s'arrêter enfin dans l'Etat de Mississipi».
Comment décrire l'envoutement trouble provoqué par ce récit crépusculaire, déroutant sans cesse le lecteur, tant par ses constructions de phrases vertigineuses, tournoyantes, que par ses formules lapidaires en suspension, par ses sous-entendus elliptiques, par se points de fuite multiples, la troisième personne de narration glissant à tout moment imperceptiblement pour s'enchevêtrer au flux de conscience des personnages, par les mises à distance récurrentes et en trompe l'oeil du narrateur, quand celui-ci, par exemple, se déchargeant de toute omniscience, finit par douter lui-même des raisons ou motivations qu'il leur attribuait, les abandonnant à leur propre mystère.
Si la négativité semble s'imposer comme un principe général chez Faulkner, si dans sa vision du monde aucun mouvement ne paraît susceptible de conduire à une transformation radicale des rôles qui nous ont été préalablement assignés sur l'échiquier visible du réel, c'est en même temps par ce même principe de négation, à condition que nous puissions réaliser et accepter qu'il est totalement vain de se battre contre ce qui aura toujours été là, que nous pourrions trouver une possibilité de rédemption à notre portée, ou tout au moins d'apaisement face au « bruit et à la fureur » shakespearien intrinsèques à la construction humaine -«Life is a tale, told by un idiot, full of sound and fury signifying nothing»-, ritournelle obsédante chez Faulkner ayant donné le titre et servi d'exergue à un de ses romans les plus célèbres.
C'est en fuyant à travers champs la traque implacable lancée contre lui après le meurtre qu'il a commis, que Joe Christmas, « courant sans but », se sentira pour la première fois de son existence « léger, impondérable» : «il ne pouvait jamais savoir quand il passerait de la nuit au jour, quand il s'apercevrait avoir dormi sans se rappeler s'être couché, ou quand il se trouverait en marche sans se rappeler qu'il avait cessé de dormir». Progresser enfin en toute légèreté, «au hasard, exprès, sur une terre sans consistance». Ici et maintenant : plus de mémoire, plus de conscience, plus de temps. Lumière d'août éclairant les ténèbres, permettant enfin de triompher sur sa destinée tragique avant le baisser de rideau. The rest is silence.
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Il y a plus de 40 ans, j'avais fait une première tentative de lecture de l'oeuvre de Faulkner par Sartoris, que l'on me conseillait pour débuter.
Mais, au bout d'une centaine de pages, je m'étais senti perdu dans les méandres de l'intrigue au point de quitter ce livre. Depuis mes incursions dans le monde faulknérien se résument aux lectures plutôt fructueuses de plusieurs nouvelles, dont j'avais apprécié la puissance évocatrice , l'âpreté, et aussi la beauté de l'écriture.

Il fallait que j'essaie de revenir aux romans de cet immense et difficile auteur, et, encouragé par les superbes critiques de certain.e.s de mes ami.e.s babeliotes, et d'autres, j'ai pensé que j'avais suffisamment avancé en « maturité littéraire » pour tenter l'aventure avec ce roman réputé un peu plus facile que le bruit et la fureur. Et j'ai été comblé. Un chef d'oeuvre, un livre magnifique, et d'une telle puissance, d'une telle beauté.
Et, comme chaque fois, je réalise que radote, il m'a fallu du temps pour « métaboliser » ce texte, car un chef-d'oeuvre comme celui-ci inspire tant de réflexions qu'il en est quasiment impossible d'en faire le tour.

Alors, je vous livre quelques idées et impressions dans cette modeste chronique, bien loin du niveau stratosphérique qu'est par exemple celle de mon ami creseifiction, mais on fait ce que l'on peut.

D'abord pour dire que cette histoire est certes marquée par cette atmosphère oppressante du Sud des États-Unis, un Sud violent, puritain, raciste et misogyne, mais qu'elle a une dimension tragique universelle. Ce roman noir a des airs de tragédie grecque dans laquelle un destin implacable poursuit les protagonistes, au premier rang Joe Christmas, aux initiales si évocatrices, enfant abandonné, métis né de père inconnu, brutalisé dans son enfance, dont la perte semble écrite d'avance.
Mais au sein de cette violence parfois insensée, passent aussi deux êtres pleins de bonté, le « couple » Léna et Byron, une sorte d' allégorie biblique de Marie et de Joseph. Une Léna sereine et obstinée qui donnera naissance à son enfant durant le cours du récit, un Byron toujours attentif aux autres et si dévoué.

Mais surtout, ce qui est absolument extraordinaire, et ce qui fait le chef-d'oeuvre, c'est la façon dont l'histoire est construite et écrite.

Car trois trames narratives se mêlent subtilement:
Celle de Léna, qui ouvre et ferme le récit, Léna partie à la recherche de l'homme qui l'a mise enceinte, ce Lucas Burch masqué en Joe Brown, homme instable, paresseux et lâche, qui trouvera dans le besogneux et timide Byron Bunch une sorte de chevalier servant.
Celle du révérend déchu Hightower, homme tourmenté par son passé et celui de ses ascendants mais capable de bonté
Et surtout celle de Joe Christmas dont la vie passée pleine de souffrances causées par la violence des autres occupe toute la partie centrale du récit.

La construction du roman disloque le temps, passé et présent se mêlent, comme si tout était déjà écrit, mais aussi donne une impression de révélation au fil des pages et des phrases. A cette impression de récit progressivement éclairé, dévoilé, contribue la manière si subtile de raconter, soit par un narrateur «omniscient », soit par l'un des personnages, soit même par un personnage extérieur à l'histoire. Une manière de faire le récit, fascinante, incomparable.

Et puis il y a cette façon de dire ce flux de conscience, de nous plonger dans le flot des pensées qui traversent, envahissent les esprits, qui fait aussi la complexité et la beauté du récit. Et le lecteur comprend que ce n'est pas pour le plaisir de faire vrai, mais pour exprimer l'essence de ce monde de la folie et de la misère des humains.

Et enfin, il y a la beauté des mots employés, qui nous donnent à voir, à sentir les paysages, l'atmosphère étouffante des villes, et toute la magie des ellipses, des non-dits.

Bon, je m'arrête, impossible de tout dire, il y aurait à parler de la malédiction du « sang noir », de la misogynie, etc.. et ce serait trop long.
Aux lectrices et lecteurs exigeant.es de Babelio, je ne peux que conseiller ce livre majeur.
En ce qui me concerne, the question is: par quel autre roman poursuivre mon exploration de l'oeuvre? Évidemment, il y a l'incontournable et semble-t-il difficile le bruit et la fureur, dont récemment mes ami.e.s Hordeducontrevent et Berni29 ont fait des critiques affûtées. Ou revenir à Sartoris qui traîne quelque part dans ma bibliothèque? Je ne sais encore.
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Fascinée par la puissance, l'épaisseur de cette écriture qui n'a pas peur de s'embarquer dans la profonde et terrible folie des hommes. Subjuguée par cette technique « d'amassement d'un mystère et d'enroulement d'un vertige » dont parle Edouard Glissant dans Faulkner, Mississippi (merci Tremaouezan).

Fascinée par ces personnages intenses, égarés, étranges, déglingués, de la tragédie moite du Sud faulknerien.
Christmas bien sûr, qui a tout d'un blanc, qui ne sait guère plus qu'une chose de son père inconnu: il est noir, et cette information pèse comme une malédiction sur sa destinée; Christmas qui se voit « lui-même, de loin pour ainsi dire, sous les traits d'un homme attiré vers un gouffre sans fond ».
Mais peut-être encore plus Hightower, pasteur devenu paria, Doctor of Divinity ou Définitivement Damné, « oublieux de l'odeur dans laquelle il vit, cette odeur de dessiccation obèse, de linge sale, comme un signe précurseur de la tombe », Hightower si intensément lié au fantôme de son grand-père décédé pendant la guerre de Sécession qu'il se considère lui-même «mort un soir, vingt ans avant d'avoir vu la lumière», ne pouvant se sauver qu'en s'en allant mourir à l'endroit où sa «vie avait déjà cessé avant d'avoir réellement commencé».
Des personnages qu'on sent irrémédiablement prisonniers de quelque chose, coincés, acculés.
« Quand il se mit au lit, ce soir-là, il était décidé à s'enfuir. Il se sentait comme un aigle, dur, suffisant, puissant, sans remords et plein de vigueur. Mais cela ne dura pas, bien qu'il ignorât alors que, pour lui comme pour l'aigle, sa propre chair aussi bien que tout l'espace, ne serait jamais qu'une cage. »

Envoûtée par le sidérant tourbillon Faulknerien, par les tremblements, les dérèglements, les paradoxes, les contradictions de cet univers impressionnant. Éblouie par cette Lumière d'août.
Ce n'est pas confortable, mais c'est très fort.
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Ouahhh ! Quel livre ! J'avais déjà essayé de lire du Faulkner sans jamais y parvenir, sans jamais accrocher au début du récit. Mais là, le début du récit m'a littéralement subjuguée, avec le cheminement de Lena sur les routes de l'Alabama. Et à partir de là je n'ai plus décroché, j'ai adoré l'écriture, la structure du récit avec l'entrelacement des histoires de tous ces personnages. L'histoire avance et en même temps certains événements nous sont montrés par des points de vue différents sans pour autant lasser. L'histoire familiale de différents personnages est explorée et montre le poids du passé sur le présent pour les uns et les autres. Mais que c'est sombre, d'une noirceur que n'évoque guère la lumière du titre ! Par contre je ne sais pas si je me replongerais de nouveau dans un Faulkner car j'ai trouvé sa vision de la femme pessimiste et si j'ai adoré me perdre dans les méandres des pensées des divers protagonistes, je dois avouer qu'ils me sont restés assez étrangers du point de vue de leur état d'esprit, tous trop imprégnés d'une vision du monde influencée avant tout, sinon seulement, par la religiosité.Totalement étrangère à tout ce puritanisme j'avais du mal à comprendre les personnages, dont certains sont de véritables fanatiques (McEachern et Hines) sans que cela choque vraiment leur entourage, d'autres comme Joanna Burden tombe dans une sorte de délire mystique qui me paraît incompréhensible, sans parler du révérend Hightower !. Entouré de près par ces personnages Christmas n'avait pas la moindre chance, victime prise au piège d'un labyrinthe ou d'une toile d'araignée.C'est ce personnage peu sympathique, pétri de haine que j'ai le mieux compris, tant tout son parcours, de sa naissance jusqu'à sa mort est d'une logique implacable. Il y a quelque chose de la toile d'araignée dans la construction concentrique du récit. C'est fabuleux ! Mais en même temps ce qui m'a gêné c'est que malgré tout ce fatalisme, tout ce puritanisme, tout ce poids du passé et des vieilles haines (haine du nègre, haine du Yankee) mis en évidence, je n'ai pas pour autant bien compris où l'auteur voulait en venir. Sauf à avoir juste voulu dépeindre l'atmosphère poisseuse du Sud. Un chef d'oeuvre pour la forme qui je l'avoue m'a quelque peu échappé pour le sens.
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Ardu et austère, sans doute comme ces hommes du Sud à cette époque, et pour moi, loin de ce que le titre m'évoque, Lumière d'Août. Ou bien, sûrement, une lumière blanche, éclatante, insoutenable.
Si le début est entraînant et tout à la fois paisible, tout comme Lena, personnage féminin autour de qui tout commence, la suite devient vite plus complexe et sombre. le cheminement de Lena, enceinte et qui, confiante et sereine, part à la recherche du géniteur qui lui avait promis de leur trouver un petit coin à eux, de l'Alabama au Tennessee, nous conduit comme un préambule au coeur de Jefferson, là où un crime se trame. le récit tourne alors autour de ce crime et les quelques jours qui le précèdent et le suivent, et nous amène même dans le passé des personnages, notamment celui De Christmas, un "nègre" blanc, qui devient dès lors et pour un long moment le personnage principal aux côtés de Bunch et Hightower.
Faulkner reprend presque systématiquement les mêmes événements perçus par différents regards, expérimente le récit sous forme de dialogue, monologue ou narration, et son écriture est belle mais parfois difficile à suivre. Les époques se recoupent, les membres d'une même famille se confondent.
J'ai parfois été gênée par les répétitions et une surabondance de "mais" et "cependant"!!
Ce n'est pas le Faulkner que j'ai préféré, loin de là, même si j'ai apprécié les différentes approches qu'il donne d'un même événement et la beauté fulgurante de nombreux passages. J'avoue, la lecture a été longue, ardue, et je suis soulagée de l'avoir fini, sachant que je l'avais abandonné une première fois il y a quelques années.
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Oh qu'il est dur de critiquer ce roman comme il m'a été difficile de le commencer…Mon premier Faulkner, un auteur que j'avais envie de lire depuis longtemps.

Nous arrivons dans une petite ville du Sud des Etats-Unis au début du 20ème siècle avec Lena une jeune femme paisible et sereine, bien qu'elle coure depuis des semaines derrière le père de son enfant à naître, dont on devine rapidement qu'il l'a sciemment abandonnée. Une maison brûle au loin. C'est un certain Jo Christmas qui aurait mis le feu et assassiné sa riche propriétaire, Jo Christmas le métis à la peau blanche mais qui aurait du sang noir dans les veines. Pourquoi alors que la morte défendait la cause des noirs et s'opposait à la ségrégation ? Que s'est-il réellement passé dans cette maison ? L'histoire est racontée selon le point de vue de divers personnages : Christmas, Lena, mais aussi le révérend Hightower, Byron Bunch et d'autres, avec des allers retours entre passé et présent, dans une ambiance délétère et poisseuse.

Puritanisme voire fanatisme religieux, ségrégation, violence, pauvreté, racisme, voilà les thèmes de ce récit plus que sombre.

Alors pourquoi cette lecture a été difficile ?

Parce qu'il a fallu s'habituer au style de Faulkner qui demande effectivement une certaine attention. Les phrases sont souvent complexes, je me suis arrêtée à plusieurs reprises, j'ai relu certains passages, pas toujours sûre d'en avoir bien saisi le sens.

Parce que les personnages m'ont semblé d'un intérêt très variable. La vie et le destin tragique de Joe Christmas m'ont réellement captivé, mais je ne peux en dire autant de personnages plus secondaires comme le Révérend Hightower dont les obsessions m'ont complètement échappé ou celui de Lena dont la sérénité semble parfois relever de la bêtise.

Et puis comme je l'ai lu dans une récente critique, le traitement réservé aux femmes est un peu dérangeant et en tout cas, il m'a dérangé : soumises, parfois manipulatrices, en arrière-plan, sans consistance et sans vie intellectuelle. L'auteur les réduit vraiment à des rôles peu reluisants. En comparaison, le portrait de Christmas est flamboyant, de même que sa relation mortifère avec son père adoptif est puissante.

J'ai donc fini cette lecture avec un sentiment mitigé. J'ai aimé le destin tragique de Christmas mais j'ai subi des longueurs avec d'autres personnages. L'univers décrit est sombre et marquant mais la part réservée aux personnages féminins est vraiment mince. L'écriture est difficile et je ne me vois pas conseiller cette lecture à des lecteurs occasionnels.

Merci à quelques amies babelio de me l'avoir conseillé, je vais persévérer et essayer un autre roman !
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Nous sommes dans le Mississippi, à Jefferson, ville du comté imaginaire de Yoknapatawpha où Faulkner situe nombre de ses romans. C'est l'entre deux-guerres dans un sud raciste, pas encore remis de la guerre de sécession.
Léna, jeune fille enceinte, arrive d'Alabama pour rejoindre le père de l'enfant. Une maison est en feu. Un meurtre a été commis. On va alors suivre le destin de Joe Christmas, et en parallèle ceux du révérend Hightower et de Joanna Burden.

C'est le premier livre de Faulkner que j'ai entre les mains. Et quelle claque ! C'est un livre très dense. L'atmosphère est lourde. Rien n'est anodin. Chaque personnage a un destin malheureux, voir tragique. Faulkner décrit beaucoup de souffrance chez ses personnages englués dans la religion, dans le racisme et la haine.
Cette ambiance est servie par une écriture magnifique, poétique et très sensuelle. Une écriture qui grave en nous les sentiments qu'elle évoque. Faulkner déroule son récit de façon non linéaire. Ce qui m'a parfois perdue. Mais je suis restée collée à ce récit, même si la lecture a dû se faire à petites doses, pour toutes les raisons évoquées ci-dessus. Et je pense qu'il va me rester quelque chose de cette lecture pendant longtemps.
Je vais continuer la découverte de cet auteur, même si je vais laisser passer un peu de temps avant de me replonger dans une lecture si riche et profonde.
Lien : http://mumuzbooks.blogspot.f..
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