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Citations sur Le Mystère des trois frontières (8)

Près d'un an s'est écoulé depuis la disparition d'Andonia. Un soir, vous rentrez de l'institut, et il n'y a personne chez vous. (...) Vous découvrez alors que vivre au quotidien ressemble à la traversée d'un glacier: un pas de côté, et c'est la crevasse. C'est seul, désormais, que vous enjambez les séracs de l'existence. Discutant, cherchant à comprendre avec son entourage, vous découvrez dans l'existence de votre compagne des trous noirs, des zones interdites. Peut-être avez-vous vécu avec une inconnue, qu'importe : elle n'est plus là. Quels démons l'ont attirée dans quelle oubliette ? Vous l'ignorez. Vous ne le saurez jamais. Quand la disparition est volontaire, vous répétez-vous, elle est la forme d'opposition la plus intransigeante et la plus éloquente. S'abstraire, sans suicide! Un suicide vise à attirer l'attention ; la disparition est une forme aggravée de l'indifférence au monde.
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Attentats en gros plan, réductions budgétaires, plans asociaux qui tranchent des vies. Et partout la peur, de la peur à flots. Au lieu de catapulter des sondes sur Mars pour savoir s'il y a une vie là-bas, les hommes feraient mieux d'en envoyer sur Terre pour déterminer s'il reste des traces de poésie. Ah ! Je l'imagine. De son bras télécommandé, elle prélèverait des roches, des lichens, des humains et des villes, des autoroutes et des chars, des rampes de missiles et des cours de la Bourse, les analyserait, les observerait d'un air dépité. Au petit matin, à midi, le soir. Elle analyserait l'atmosphère qu'osent encore respirer les hommes. Quels éléments subtils sont indispensables pour assurer l'existence de la poésie, vie à l'intérieur de la vie ?
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Dormir la vie, pour ne pas la vivre. Se lever tard, pour que rien ne soit ébauché jusqu'à l'heure de se coucher très tôt, et pendant les maigres heures d'inactivité diurne, se réfugier dans la pénombre car la lumière agresse : voici l'état dans lequel, en juin, je m'étais présenté à la pension. Pourquoi, dans les calmes équatoriaux de la quarantaine, échoue-t-on un jour de la belle saison dans une pension à l'écart de tout, où rien , à priori, ne doit se passer ? Mieux vaudrait, pour retrouver le goût de la vie, réserver une chambre dans une auberge au bord de l'abîme, dont la falaise nuit de pluie après nuit de pluie menace de s'effondrer.
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Mais je sens trop bien qu'ici, je suis sous d'autres influences ; tout travail est une bataille à la Pyrrhus. Bientôt, pour chaque ligne que j'écrirai, il me faudra une rasade de bourbon. Cela fait des années que ce type de carburant - Macallan, Lagavulin, Campbell et autres Talisker - me coûte bien plus que tout ce que mon esprit peut me rapporter en distillant trop lentement analyses, articles et rapports...
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J'étais seul sous de grands arbres, et m'assis. Des hêtres sans fin (ceux-là atteignaient les quarante, cinquante mètres de haut, ou plus encore ? Rarement j'en avais vu d'aussi grands) me regardaient ; de là-haut, du dernier étage de leur feuillage, une nuit boréale, une de ces nuits de juin bleu pétrole gouttait. Par de petites trouées tombaient des bris de clarté lunaire. Les troncs tanguaient dans le vent, crissant comme les mâts d'un vieux brick. Et parce que le balancement des branches était très lent, on aurait dit qu'un chef d'orchestre, là-haut, dirigeait un mouvement funèbre.
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Autant dire que la forêt des Trois-Frontières me manque. Manquent l’arôme et l’air lourd de ses soirs humides, l’infusion de ses feuilles dans les flaques tièdes après l’orage. Manquent la voilure des hêtres, le toit de lauzes des grandes sapinières, au loin, et le mystère des silhouettes surgies entre chien et loup au fond des taillis, élucidé quand on s’approche d’elles : tronc foudroyé, souche obèse ou roche à visage humain, termitière, fourmilière. Me manquent, le soir, la vue des monts en enfilade comme des dromadaires au repos, la ligne d’horizon en dents de scie. Fuir d’ici, fuir !
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Le récit que me fit le randonneur, je le répète, avait de quoi édifier tout ethnologue, tout fin connaisseur des mythes. Ce qu’il avait à dire eut la faculté de réveiller en moi ce que la dépression, encore qu’en période d’incubation, avait considérablement entamé ces derniers mois : la curiosité. Les éclats de voix de la veille, sur la terrasse, avaient si bien réussi à la piquer que j’avais trouvé, ce matin, le ressort d’engager la conversation la plus banale qui fût, sur le climat, pour la faire dériver, vite, par allusions, puis directement, vers l’objet de cette curiosité renaissante. Souvent, et notamment au début de ma carrière, j’avais eu affaire, magnétophone en main, à des phénomènes d’apparitions d’animaux extraordinaires. Dans telle contrée, un loup, ou quelque bête présumée telle, avait décimé un troupeau, semé la peur pendant des jours. Ailleurs, on croyait avoir vu un tigre ou un léopard, ou un jaguar, ou une panthère, à moins que ce ne fût une descente de lit emportée par une bourrasque ; et plus loin, que n’avait-on pas aperçu ? Des témoignages de ce type, j’en avais recueilli des dizaines. Je les traitais avec flegme, m’attachant davantage aux consciences humaines et aux scénarios qu’elles échafaudaient qu’aux bêtes elles-mêmes, que je laissais courir jusqu’à ce qu’elles s’essoufflent. De nombreuses lectures, couronnant mes enquêtes sur le terrain, m’avaient convaincu que chaque grande région d’Europe – puisque ces études étaient confinées à notre continent – s’était « spécialisée » dans un type d’apparition : fauves dans les îles britanniques, loups en France, etc., comme si la mémoire collective, à sa façon, voulait perpétuer les blasons des royaumes disparus. Je m’étais plus particulièrement penché sur le rôle du loup et sur sa récurrence dans les plus vieilles légendes de notre monde, de la louve romaine à Skœll et Hatti de l’Edda islandaise. Mais ce dont le randonneur avait été témoin allait bien au-delà de quelque vision de loup errant, de lynx changé en tigre ! Ce dont il avait été témoin était, selon ses dires, beaucoup plus terrible que Skœll et Hatti réunis…
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L’histoire des hommes est l’histoire de leur guerre contre la peur. Les événements que je me dois de relater ce soir, parce que ma qualité d’ethnologue et de témoin de faits hors du commun l’exige, maintenant que tout est rentré dans l’ordre – si ordre il y eut jamais sur cette Terre et dans l’âme de ses passagers – ces événements ont comme point de départ le jour de mon arrivée à la pension Zum Wanderer où, sur les conseils d’un ami, j’avais décidé de m’isoler pour quelques semaines, il y a des années. Je tenterai dans ce récit d’être simple et le plus proche de ce que, par commodité de langage, on appelle la réalité. Mais ces temps-là ont encore un tel impact sur moi qu’il me sera difficile d’être neutre et mesuré, maintenant même qu’il me semble être sorti du tunnel ou, plus exactement, de la spirale.
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