Ce livre retrace l'histoire de Japonais (majoritairement) disparus, d' « éclipsés » depuis la fin des années 70. Kidnappés par l'Etat totalitaire et autoritaire de la dynastie Kim.
Les personnages sont fictifs mais ont été inspirés par des faits pourtant bien réels. L'auteur Éric Faye a mené un énorme travail de recherche pour rédiger ce livre, mêlant avec une certaine dextérité des faits historiques à l'humanité et la psychologie de ses personnages.
Ces «
Éclipses japonaises », c'est tout d'abord des « effets papillon » pour de trop nombreux Japonais qui ont malheureusement conduit ces derniers à finir prisonniers d'un « royaume ermite », à vivre une autre vie que celle qui leur était pourtant prédestinée. Une vie imposée, et cela pour servir le régime selon toutes ses conditions farfelues. Ces signalés disparus sont plus communément appelés au pays du Soleil Levant des « cachés par les dieux ».
Imaginez… Être capturé soudainement dans un filet en jute, finir dans la cale d'un bateau, ouvrir les yeux sur un pays étranger dont on ne connaît strictement rien. Et devoir, contre toute attente, enseigner la langue japonaise à de futurs espions nord-coréens de Pyongyang - un japonais bien entendu parfait avec ses spécificités et familiarités qui lui sont propres. Leur faire assimiler dans les moindres détails la culture japonaise, jusqu'aux comptines pour enfants qu'ils apprendront par coeur… Dans le but que ces espions-robots aient une couverture insoupçonnée arrivés au Japon, jusqu'au bon déroulé de leur mission.
Et devoir soi-même apprendre le coréen pour devenir… un véritable nord-coréen. Devoir s'exprimer uniquement en coréen. Devoir s'intégrer à leur société, s'emparer de leur culture et vouer le culte à la famille Kim. Devoir jouer le jeu contre sa propre volonté. Devoir, tout en sachant au fond qu'il sera impossible de rentrer au bercail, de revenir aux sources. Laissant derrière soi toute une vie, un quotidien, des repères, une famille en plein désarroi… Mais continuer de faire ce qui est demandé, exigé, pour obtenir de bonnes faveurs et, qui sait, pouvoir enfin rentrer de ce cauchemar. du moins l'espérer de tout coeur…
Chaque chapitre est consacré à un/une disparu(e). Nous sommes témoins de leur mésaventure. Sidération et confusion dans cet environnement à part, totalement étranger. Étrange. Insensé. Dont les pratiques sont questionnables et mènent souvent à l'incompréhension… Jouer littéralement un jeu d'acteur au milieu de millions d'autres « figurants », la moindre erreur d'interprétation pouvant être fatale. Létale. Perdre progressivement sa propre identité à force de jouer le rôle de quelqu'un d'autre… Finir par s'adapter, les années passant, et s'y complaire. Se surprendre à y trouver quelques moments de bonheur dans ce monde de fous…
J'ai été personnellement touchée par le personnage de Naoko, disparue à l'âge de 13 ans. Et quand l'on prend conscience que ce n'est pas qu'une fiction… Que cette petite de 13 ans a bien été enlevée, arrachée abruptement à sa famille, du jour au lendemain… Qu'est-elle réellement devenue ?
J'ai été sidérée par ce phénomène dont je ne soupçonnais pas l'existence jusqu'alors. Comment est-il possible de faire ça ? Dans ce cas plus qu'extrême, ces femmes et ces hommes ont été utilisés contre leur gré comme de vulgaires outils à des fins politico-stratégiques. Pour servir un régime d'arriérés paranoïaques complets, ayant la fâcheuse tendance à diaboliser tout ce qui est « ailleurs » que leur « douce et brave » Corée du Nord. J'ai tendance à visualiser ces disparus comme des poupées désarticulées, bougeant et se déplaçant d'une scène à une autre au bon vouloir d'un enfant pourri gâté. Ou encore comme étant les pions d'un grand échiquier, les petits soldats, manipulés par la main qui les déplace pour atteindre le camp adverse…
Je reste aussi choquée et révoltée par le manque de réaction des différents gouvernements qui ont fini par apprendre ce scandale près de 30 ans plus tard - et qui plus est ont d'abord tenté de le passer sous silence - pour ne pas échauffer les relations diplomatiques avec la Corée du Nord, déjà bien fragiles…
J'ai apprécié cette lecture par son côté pédagogique avec toutes les anecdotes transmises sur l'histoire et la culture nord-coréenne, mais aussi humain, avec les perceptions imaginaires de ces « éclipsés » dont le caractère fictif est malheureusement vite rattrapé par la réalité. Néanmoins, à part le personnage de Naoko, je n'ai pas réussi à m'attacher aux autres personnages et ma lecture m'a parue parfois un poil trop monotone.
Plus globalement, un récit édifiant sur un fait historique étonnant qui fait froid dans le dos.