Je n'ai pas voulu être différente. Je désirais être exactement ce que les grandes personnes voulaient que je sois, pour qu'elles m'aiment. Je suivais toutes leurs règles en faisant de mon mieux pour leur plaire. Mais il y avait quelque chose chez moi qui leur faisait froncer les sourcils et se renfrogner. Personne n'a jamais mis de mots sur ce qui n'allait pas. C'est pour ça que j'ai eu peur que ce soit vraiment grave. J'ai seulement appris à en reconnaître la mélodie à travers cet incessant refrain :
- C'est un garçon ou une fille ?
Je ne dis pas qu'on verra une sorte de paradis de notre vivant. Mais le simple fait de se battre pour le changement, ça nous rend plus fort. Tu te demandes déjà si le monde peut changer. Essaie d'imaginer un monde dans lequel ça vaudrait le coup de vivre et demande-toi ensuite si ça ne vaut pas la peine de se battre pour ça...
- Corbeau, t'es un garçon ou une fille ?
- Croa, croa
J'ai rigolé et je me suis allongée sur le dos. Le ciel était d'un bleu profond. Je m'imaginais que j'étais couchée sur des nuages de coton blanc. La terre était humide dans mon dos. Le soleil était chaud, l'air était doux. Je me sentais heureuse. La nature me serrait contre elle et semblait ne me trouver aucun défaut.
Je suis allée à la fenêtre et j'ai regardé dehors, par-delà les monceaux de neige, en rêvant de pouvoir vivre toute ma vie une première fois comme entraînement, puis de revenir au début et tout recommencer.
Ce rassemblement ne changeait pas la face du monde, mais j’y avais vu des gens se parler et s’écouter les uns les autres.
Alors qu’elle descendait de l’estrade, j’ai pensé : c’est ça le courage. Ce n’est pas seulement survivre au cauchemar, c’est en faire quelque chose après. C’est être assez forte pour en parler à d’autres personnes. C’est essayer de s’organiser pour changer les choses.
Et soudain, mon propre silence m’a rendu malade à un tel point qu’il me fallait absolument prendre la parole moi aussi.
Je ne pensais pas vraiment que j’existais dans d’autres souvenirs que les miens.
Je n’y ai jamais réfléchi comme ça. Mais je dois avouer que quand tu m’as dit pour toi et Johnny, la première chose que je me suis demandé, c’était : qui fait la fem au lit ? Frankie s’est penchée en arrière.
– Aucune de nous. Ce que tu voulais dire, c’est qui baise et qui est baisée ? Qui pilote la baise ? Et ça, ça n’a rien à voir avec le fait d’être butch ou fem, Jess.
Je me demandais si les hommes savaient que les femmes parlent différemment quand elles sont juste entre elles. J’imaginais que ça devait être la même chose pour les travailleurs Noirs et Latinos, quand il n’y a pas de blancs autour.
Avant, je subissais la répression des inconnus parce que j’étais une femme qui transgressait une frontière interdite. Maintenant, ils étaient incapables de déterminer mon sexe, et c’était inimaginable et terrifiant pour eux. Femmes comme hommes, la terre s’écroulait sous leurs pieds quand je passais à côté d’eux. « C’était quoi, ça, bordel !?! » J’avais oublié à quel point c’était dur à encaisser. Mais je savais que je commençais une nouvelle phase de ma vie. J’étais dévorée par la peur et l’excitation.