Je fermais les yeux pour savourer le staccato du tranchoir, les grésillements des encornets qui valsaient dans la poêle avec les oignons à peine blondis, le chant adouci de la pulpe de tomates fraîches mijotant avec du vin blanc et de l'ail ; je humais, reconnaissant ici l'odeur acidulée d'un zeste d'orange, là le bouquet plus fade d'un tronçon d'anguille juste sorti du four, ailleurs le parfum puissant, maritime, des couteaux qui s'ouvraient sur un feu vif et livraient leur suc iodé.
Les nuits passeront, l'une poussant l'autre dans ses propres ténèbres, et je m'userai, jour après jour, je deviendrai mince et coupante, transparente jusqu'à m'effacer, à m'effondrer enfin sans bruit.
Aucune cuisinière digne de ce nom ne suit une recette à la lettre.
Pour pleurer, il faut en avoir le temps, il faut être seul et laisser le chagrin venir.
La guerre. Hana est née avec elle. Dans les contes européens que je lui lisais, les fées se pressent autour du berceau des princesses pour y déposer des voeux de beauté, de longévité, d'intelligence, de bonté. Dans le sien est tombé un mot de plomb, de feu et d'acier.
Une nouvelle larme a coulé sur mon nez. Ou une nouvelle goutte de pluie. Il y a des moments où la météo et la détresse se confondent si bien qu'on ne sait plus sur quoi on flotte, au sens propre - ou presque.
je me posais beaucoup trop de questions. j allais irriter les dieux. ou les déesses.
- je crois que le destin est une femme
Que pèse une mort, une seule mort ?
Il y a tant de façons de dire adieu, celle-là était la pire, rester muette, mon enfant serrée contre moi, ne pas trouver une seule larme à lui offrir, pas un mot, même pas un semblant de sourire.
Les noms ont un pouvoir, tu sais, ils se tapissent dans un pli de tes souvenirs pour te faire de l'œil, ils t'attirent avec leurs jolies syllabes sucrées et ils te mènent par le bout du nez exactement là où tu dois aller.