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Critique de Albina


Lu d'une traite, en une seule journée, comme on écoute une symphonie, sans pouvoir m'arrêter. C'est sans doute un des rares auteurs contemporains qui provoque en moi cette réaction. J'aime avant tout son écriture avec un style fluide, imagé et souvent lyrique même si je ne comprends pas tout et que je ne cherche pas à tout comprendre parce que je sais bien que j'aurai, de toute façon, plaisir à le relire.
J'en ai profité dans la même foulée pour revisiter l'Aleph de Borges ce qui m'a un peu éclairée. J'avoue que cette volonté tenace de tout embrasser de l'univers et de se prendre pour Dieu, car l'Aleph c'est bien « un point de l'univers à partir duquel on peut voir tout l'univers » c'est-à-dire le principe premier, là d'où partent tous les possibles, me donne le vertige et m'est en grande partie étrangère.
L'Aleph c'est à la fois le fruit d'un savoir inaccessible à la conscience humaine prisonnière de sa finitude que les mathématiques seules peuvent codifier. C'est le plus petit des nombres infinis, il ne sert à rien de lui soustraire quoi que ce soit  ; il restera à jamais inchangé et nous renvoie en pleine face l'indifférence massive de l'univers qui est vécu par le narrateur (qui ne se prive pas d'ailleurs de s'en référer au Roquentin de Sartre) comme le mal existentiel par excellence ; et notre héros (sans doute l'auteur) incarne ce mâle aux prises avec l'angoisse de se sentir accessoire dans un monde où il se rêvait nécessaire.
Le livre commence à la première personne. le narrateur se trouve dans la posture du collectionneur. Il est le prince charmant qui séduit les femmes avec enthousiasme puis la lassitude le prend très vite dès qu'il a atteint son but et il se transforme alors délibérément en crapaud ; pour appuyer un peu lourdement la métaphore, il s'habille dans un vert glauque.
Une sorte de don Juan avec une conscience aiguë de lui-même et de sa propre déchéance.
Mais il y a aussi la belle Anna qu'il semble aimer sans vouloir se l'avouer, avec qui il entretient l'ambiguïté (une rencontre possible qu'il s'attache à laisser dans le virtuel) et Béatrice, un amour avorté, une collègue de travail qui vient de se suicider. Sa disparition plonge le narrateur dans l'angoisse face à l'indifférence du monde, « le monde persiste et rien ne l'atteindra », et trouve un écho dans la cruelle vérité de l'Aleph zéro, cet ensemble que rien n'altère.
Béatrice en a fait la triste expérience au cours de sa carrière d'enseignante ; elle qui a pourtant été élevée dans l'amour de Dante et de la littérature a dû se confronter à la réalité brute, ravaler son idéalisme et s'abimer dans un monde où le pragmatisme fait loi. Sans compter l'hypocrisie et le mensonge qui règne dans les relations entre collègues. Même quand elle tente de déroger à la règle lors de son dernier cours, elle ne recueille que bâillement et froide indifférence de la part de ses élèves. Pour Béatrice prisonnière d'une idéologie hédoniste cet affront est trop cruel d'autant qu'elle vit mal sa mutilation (on lui a enlevé un sein) et elle fera le choix de disparaitre d'un monde où elle se sent devenue inutile.
Le narrateur fera la rencontre d'Huguette au milieu d'un désert dont il est désormais le chevalier à la Triste Figure. Huguette, une sadomaso va lui remettre les idées en place dans ce sens où il en perdra la capacité de jouir (jusque-là, c'était la pratique qui définissait le mieux sa vie et lui conférait une sorte d'identité, un peu par conformisme) et comme si cela ne suffisait pas son ami Jean lui révèle qu'il a couché avec Anna.
À partir de là dans la fulgurance de la douleur, tout se brouille. On débouche sur l'éternel retour avec l'évocation incongrue de son grand-père mourant au lourd passé de soldat colonial amateur de bordel. Passé, présent et futur se confondent comme les points qui appartiennent à un même cercle. « Au matin avant le cri de mes enfants futurs et de leur mort, mais aussi bien après, je vis l'intimité du cercle et de la ligne, une intimité secrète, qui transforme le futur en passé et le présent aussi, ce qui tarde à venir et ce qui n'est plus là. »
Et puis Jean, ce drôle d'ami l'entrainera dans la débauche avec la débâcle de tous ses sens...
Anna surgit au milieu de ce chaos pour nous raconter son histoire à la première personne en parallèle avec celle du narrateur.
Mais le chaos n'est pas le chaos : s'il est le lieu où chaque singularité se dissous, il existe aussi des pôles d'attraction ou « des attracteurs étranges » qui font basculer à nouveau tout ce qui existe dans une multiplicité de possibles à l'infini et permettent de rejoindre l'Aleph le point de convergence des univers… le narrateur saura-t-il saisir sa chance, la chance de la rencontre dont Anna est le fil rouge, un art que les Grecs ont appelé kaïros ?



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