Peu de gens savent que sans être "fou" on peut connaître des instants où l'évidence de soi disparaît. Quelque chose se grippe, la panique se glisse dans le quotidien, à quelques pas du familier, si près, si loin. Le sentiment confiant de vivre se désagrège.
Sommes nous donc si peu de chose ? Livrés en un instant aux désordres, aux passions intempestives, à l'intranquilité radicale. Dans une détresse et une puissance proches de celles d'un nouveau-né.
Est-ce cela vivre ?
Pourquoi ?
Je m'observe dans un miroir, il n'y a rien à voir. Mon visage est impassible, personne ne pourrait y lire la panique. Je suis parfaitement lisse. Rien n'accroche le regard, pas de rictus, de tic, de grimace. Des yeux un peu trop clairs peut être, une certaine absence, un très léger flottement, mais à peine perceptible. Qui pourrait imaginer l'ampleur de cet effroi ? Je suis seule, absolument seule, avec la conscience aigüe que personne ne pourra rien pour moi. C'est moi la bateau en perdition qui coule à pic sans plus de capitaine à bord.
Cette expérience [l'angoisse] de l'intime extrême, qui s'en soucie ? Personne n'en parle. Elle est sans valeur, sans existence sociale, à cacher.
Je suis tout à fait imperméable aux arguments rationnels, au bon sens, à l'intelligence, aux vertus de la sagesse et de l'entendement.
Il faut d'abord traverser la pire des adversités, l'expérience de l'angoisse. Qui ne l'a pas connue ne peut l'imaginer. Elle déteint sur tout, tout le temps. Elle malmène, ôte tous les moyens, elle brouille toutes les pistes.
Je remets à plus tard (...) telle promesse, qui m'entraînerait au-delà du cercle de la sécurité.
"De quoi vous plaignez-vous? C'est dans la tête, ça n'existe pas, l'angoisse, un peu de volonté, que diable! Vous vous écoutez trop, ce sont des enfantillages. A votre âge, vous n'avez pas honte? Tout va bien dans votre vie! (...)"
M'échapper, fuir. Toujours fuir, comme une prisonnière, une clandestine, une résistante traquée.
L'angoisse ne sait pas de quoi elle s'angoisse.