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Critique de ninachevalier



Après nous avoir offert « Je ne compte que les heures heureuses », Claire Fourier nous fait cette fois le cadeau « d'un bouquet d'heures », tour à tour « ensoleillées ou brumeuses ». le vent d'ouest y souffle, chassant « les tourments de l'âme ».

En exergue, Victor Hugo et Céline.

Claire Fourier, une Finistérienne, devenue une « cimmérienne »(1) met en scène plusieurs générations. Elle déroule la cartographie d'une géographie sentimentale, «  le grandiose paradis de son enfance ». Il y a ce rocher sémaphore « éperon pyramidal qui s'avance dans la mer d'Iroise, tel un belvédère, le village natal : Ploudal, la plage de Tréompan.
Elle oppose Paris « la ville plébéienne » à la « nature hors-la-loi, aristocratique ».

Une connivence est rapidement tissée avec le lecteur. Il ne subit pas de pression. Il est autorisé à faire une pause dans sa lecture pour observer un brin d'herbe, une coccinelle ou les couleurs du ciel. Elle le gratifie même « d'amant essentiel ».

Dès le chapitre d'ouverture, Klaoda, double de l'auteure, rend hommage à son aïeule, Anna, « la fée au chapeau de clarté », qui lui a transmis la passion de Moby Dick, mais aussi des soldes. Et de la mode. Elle en brosse un portrait attachant, très détaillé et restitue des bribes de leurs conversations.
Telle une biographe, Claire Fourier retrace la vie d'épouse de cette grand-mère adorée, mariée à Joseph, un « pompon rouge », qu'elle suit à Toulon mais pas en Indochine. Anna préfère le quitter pour revenir au village avec ses 3 poussins. Puis, elle évoque la période de veuvage de celle qu'elle nomme « sa baleine blanche » jusqu'à son décès. Cette « Mémée avait la sagesse pétillante ».

Elle « remue ses souvenirs » d'enfance, ses jeux avec ses frères dans ce décor maritime qui traverse plusieurs des romans de Claire Fourier.
Si « l'âme se sent vite à l'unisson d'un paysage aimé », le lecteur se sent aussi en communion avec celle qu'il lit et lui offre un tel « partage intime ».

Ainsi surgit le rocher « crevassé », léché par les vagues, lieu délaissé pour les ruines d'un château, quand la météo rendait ses parois glissantes.
On retrouve le mur de l'Atlantique, évoqué dans «  Les silences de la mer ».

La narratrice se revoit « chaussée de socques » sur le chemin de l'école. Elle se souvient des soirées avec ses frères, tous biberonnés aux légendes par leur père, ce qui faisait gronder Dolorosa, « l'épouse jalouse et courroucée »! Des séquences théâtralisées où la fratrie incarne Pallas, Diomède, Pandare…).
Elle se remémore des sorties culturelles, des virées découvertes au cours desquelles, le père, « expert en pharmacopée » contribue à enrichir son herbier, relate l'histoire des villes visitées pendant que la « Mère-Impatience » se fatigue de tous les arrêts !
Quant au retour vertigineux d'Avranches, la conduite du père, tel un « Zeus " en furie est si nerveuse que le lecteur est tout autant secoué que les occupants de la voiture ! On en ressort étourdi comme au sortir d'une centrifugeuse. Une cascade de verbes décuple cette sensation de « voltige », de « tourbillon » et d'angoisse pour les passagers qui craignent de se fracasser contre un rocher.

Claire Fourier ne manque pas d'imagination pour nommer ses personnages : Dolorosa, la mère, est tour à tour désignée comme Germaine-Eudoxie ,« Notre -Dame des Douleurs », « Ange-du-toujours-trop », «  Maman-va-de-l'avant »...
Une mère qui vient la hanter dans ses rêves.
Le père, Yves-Marie, apparaît comme « le remédien », pour les clients, un « héros aux yeux de lichen » pour sa fille, un bon samaritain pour un clochard qu'il prend en amitié, un « Père courage », bourreau de travail. A l'instar de son père, la narratrice fait preuve de charité chrétienne envers les SDF. de la mère, «  la recluse » dont elle évoque la déliquescence, elle a hérité « son chagrin pour les gens » et sa mélancolie. Une mère veuve trop jeune qui endossa les rôles de « Sisyphe et de Pénélope » et usa les nerfs de sa fille.

Quant à la plume de la narratrice, elle virevolte, « sans perdre le fil », remonte le temps. Ainsi elle revient sur la catastrophe de « L'Amoco-Cadiz » ( 16 mars 1978), salue le travail titanesque des « braves ». Un haïku traduit bien la colère :
« L'Amoco chez moi/ gît sur les grands fonds/ô souilleur d'hermines ! »

Tout aussi tragique, l'évocation de Mers-el-Kebir ( 3 juillet 1940) qui plongea le village natal dans le deuil, avec la perte de ses hommes engagés dans la Marine Nationale.

La narratrice se révèle une suzeraine des « petits riens somptueux ». (2)
Elle sait observer ce qui l'entoure, fait l'éloge de la bruyère et se revoit courant sur la lande avec ses frères, ce qui renvoie à la lecture des « Hauts de Hurlevent ». Elle peut s'émerveiller devant un vase rempli d'anémones violettes.

Elle évoque une amie disparue, faisant le triste constat qu'elle n'aura « jamais tenu une branche de romarin », qu'elle n'aura jamais vu les fleurs de son jardin, mais qu'elle aura été « prise à la gorge par l'actualité ».

La voyageuse se remémore, avec beaucoup d'émotion et d'humour, sa rencontre improbable avec le cinéaste Paradjanov à Tbilissi. On reconnaît la croisiériste de « Radieuse » qui aime fausser compagnie au groupe !

Si Dolorosa ( sa mère) ne lui a pas laissé des souvenirs impérissables de sa cuisine,( excepté les frites) elle lui a, par contre, inculqué le goût du cinéma du samedi soir, décuplé par « le plaisir béni de l'entracte : le sucre d'orge. »

On perçoit chez la narratrice (tout juste bachelière) la forte déception de constater l'absence de sa mère lors de la cérémonie des prix (aussi solennelle qu'un Prix Nobel), alors que le Prix d'Excellence lui revenait ! On devine que cette « indifférence de la bien-aimée » aura une incidence sur leurs futures relations !
Mais Dolorosa s'est toujours montrée avare de compliments envers ses enfants !


C'est au tour de l'épouse d'évoquer son couple, tributaire du métier de son mari. La voilà « comme l'oiseau sur la branche », à changer de logis une douzaine de fois, sa carrière de conservateur mise en stand- by pour suivre son époux, avec à charge leur deux « baleineaux ». Elle quitte ensuite le « quai des Indes » de Lorient pour s'installer dans le golfe du Morbihan où elle trouve son « château d'Argol » où elle fait son nid, écrit, lit et cultive un jardin extraordinaire où l'on peut faire un bouquet avec une « tulipe perroquet rouge et or », « une rose orangée, un arum, un souci ».

L'auteur revisite avec fougue une scène érotique de son roman Metro Ciel : « l'onde de marée nommée désir », « l'expérience extatique de l'éréthisme des corps ».


Le récit, constellé d'onomatopées : « pfft, bzz !, vzz !Toc ! Toc ! , vlouf!  Dring !», gagne en vivacité. S'y ajoutent des expressions latines (« in illo tempore ») et du breton, (« freuz ») en clin d'oeil à ses origines.

La romancière, « possédée de la mer », déroule le fil rouge de Moby Dick (son livre-culte), du capitaine Achab, recourt aux références mythologiques.
Les cent chapitres sont traversés par cette voix bien particulière de Claire Fourier, qui aime apostropher son lecteur, instaurer une complicité. Lecteur qu'elle a l'art de «  ficeler » ! Elle sait donner ENVIE :
-d'aller débusquer ce « rocher du sémaphore » pour se hisser dans le « fauteuil » creusé dans le granit et se croire à la proue du Péquot, devant un « paysage spirituel » dont « le pouls bat au rythme de la marée ».
-de peindre ou contempler le jardin d'Anna si coloré, de se prélasser sous la tonnelle fleurie de Kerebin
- de retrouver Klaoda, dans son jardin, munie de son sécateur, à l'automne, spectacle qu'elle dépeint de façon grandiose.
-et de se laisser enivrer par toutes les senteurs qui s'en exhalent.
-d'assister à une de ces aubes « où l'on croit que ciel et terre se sont étreints toute la nuit », « où la nature a l'odeur de l'amour ».
- de relever et partager les haïkus qui parsèment le récit.
« La vie m'est dérive / écrire en fait une rive/penchée sur hier »


Cent textes qui tissent une sorte d'autoportrait de Klaoda, dite « climatérique » qui apparaît aussi sous d'autres noms (Caudie, Mamoune, Maman) et donnent un aperçu de ses lectures, de ses goûts en peintures (Caspar David Friedrich, Jean-Pierre Alberola), en musique ( Debussy) et pour les hôtels des ventes.
Parmi ses figures tutélaires, on note Colette, Armand Robin, Rilke, Perros, Flaubert.

L'écrivaine, « Folliculine » pour son mari, distille à maintes reprises une réflexion sur la lecture, l'écriture : « sa patrie » et le Temps qui lui vaut du vague à l'âme, se voyant arrivée à un âge où on dit d'une femme qu'elle est « bien conservée » !
« Amoureuse de la solitude », elle décline un hymne aux livres qu'elle « emprunte pour laisser s'envoler le parfum d'une âme » et émaille ses pages de poésie. « Le poète est la démesure de l'amour et la respiration du monde », rappelle-t-elle.

Claire Fourier, conteuse, livre un livre d'heures d'une forte densité et d'une richesse inouïe qui prend la forme d'une « story », voire d'une saga familiale et de miscellanées « au hasard de ses humeurs ». Afin d'entendre l'épistolière bruire dans votre tête, il vous reste à suivre son invitation : « Lecteur, mets ton pas dans mon pas ». Ce vagabondage autobiographique offre une introduction idéale à l'univers de la « supersonique » écrivaine aux multiples publications.

(1) Cimmérienne : femme de rivage, les pieds sur terre, le regard en mer.
(2) Expression d'Albert Strickler.
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