AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782368332627
400 pages
Locus Solus Editions (06/03/2020)
4.12/5   8 notes
Résumé :
Bande-annonce: Un récit inclassable, un parcours haut en couleurs, qui est l'occasion de promenades aussi réelles qu'imaginaires dans les souvenirs d'enfance, ainsi qu'une réflexion sur le temps et l'amour, une vision du monde et une philosophie de la vie.

Une centaines de courts chapitres avec en prime les anecdotes extraordinaires que cette grande femme de lettres et de culture a collectionnées tout au long d'un curieux itinéraire.

D'... >Voir plus
Que lire après Sémaphore en mer d'IroiseVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
.
Passionnée par le style épistolaire , Claire Fournier donne à son livre " inclassable " l'allure d'une correspondance intime avec le lecteur .

Cet essai biographique , nimbé de poésie et de philosophie raconte en cent courts chapitres la vie d'une famille finistérienne à travers une chronique sociale émaillée des mille pensées et témoignages d'une auteure ancrée dans sa terre granitique natale , le pays de Ploudalmézeau malgré une existence " nomade" partout en France à l'âge adulte .
Sa plume semble parfois envoûtée par la beauté mystique de la côte des légendes .

Des mots jaillissent du coeur pour rendre hommage à la matriarche , sa "Mémée ", son sémaphore , celle qui a illuminé sa jeunesse , un personnage qui enchante ô combien le lecteur . Femme de marin bien sûr !

C'est une biographie touchante , fougueuse , bouillonnante , pétrie d'intelligence et de sensibilité , animée par un humour piquant et baignée de poésie .
Se succèdent des historiettes , des chroniques du quotidien , des portraits caustiques , moqueurs mais toujours pleins de tendresse et d'humanité .
Mais , pour moi , l'un des plus beaux hommages reste celui fait à sa terre , le Finistère et à la nature en général .

Cette auteure est une artiste .
Ses récits dessinent une sorte de tableau : d'abord l'esquisse d'une personnalité , deux ou trois traits de caractère . Puis , on se promène , on vagabonde d'un souvenir à l'autre et un peu plus loin , dans d'autres chapitres même , le portrait s'affirme comme émergeant de la brume ...

Parfois , les phrases coulent et bercent avec en filigrane la sensibilité , l'amour , la musique du coeur et toute la beauté du verbe est dans ces lignes , dans une prose poétique et superbe .
On goûte au temps qui passe , on ose l'éloge de l'oisiveté .


Puis , le style varie au gré de l'humeur .
Pour le devoir de mémoire , il se fait plus grave et des phrases sobres et poignantes évoquent les drames indélébiles qui ont marqué plusieurs générations : le drame humain de Mers el- Kébir qui endeuilla en 1940 presque toutes les familles de la région ou le drame écologique du naufrage de l'Amoco Cadiz au large de Portsall en 1978 .

Si les chapitres semblent voguer d'un thème à l'autre , toujours ils sont liés par " le fil de l'eau" , ce lien viscéral entre la mer et ce pays . Comme si le rythme obéissait au ressac : ils vont , viennent , reviennent ... c'est beau !

Les personnages sont attachants mais , même si je me laissais charmer par les ondes poétiques , j'avoue que je guettais les tribulations de " Mémée " !
Pleine de bon sens , truculente , un roc dans la tempête et une gouaille , un franc parler typique d'une époque où une traduction littérale du breton rendait irrésistibles nombre d'expressions .
Un petit exemple du parler "Mémée " ?
[...] son mari ! il marche tout à dreuz ( de guingois )...il est drôle avec sa tête . Faut avoir envie d'un homme (p. 93 )
ou encore " je viens voir l'oculiste avec mes yeux " (p.92 )
C'est de l'authentique , photo sépia , désuète , d'une époque disparue . Un témoin de notre passé . Je pense qu'on on a tous connu de ces " Mémée ".

Trève de plaisanterie . Revenons à la beauté du texte de Claire Fournier .
Il m' a subjuguée . J'ai été bouleversée par l'intensité poétique de certains passages .
Même si par moments , surtout dans les derniers chapitres , j'ai un peu
peiné à suivre des envolées trop lyriques à mon goût , trop redondantes parfois .
Mais , dans l'ensemble , je suis conquise par les qualités littéraires indéniables d'une auteure qui a parfois des accents proustiens , qui utilise encore le point virgule , qui m'a fait rire , qui m'a fait pleurer ...
Même là , en rédigeant ce billet , j'ai encore les yeux qui piquent !

Claire Fourier , une auteure que je découvre grâce à Masse Critique .
Alors , un grand merci à l'équipe de Babelio et aux éditions Locus Solus pour ce très beau cadeau .
Commenter  J’apprécie          6410
Quel temps fait-il ?
La vie
Qui l'a dit ?
La plume de Klaoda
Où ça
En mer d'Iroise
Qu'écrit-elle ?
Des mots de glaz
Mais pour qui ?
Pour toi lecteur

Une plume qui s'enroule au temps pour dérouler les mots ‘glaz'. Ni début ni fin, tout est commencement à chaque instant. Comme des coquillages ramassés au fil du dessein, sablant le quotidien, grain à grain. Bribes qui racontent le Finistère Nord, Portsall, Ploudal, le rocher de Saint-Samson, le cachalot blanc de Melville, Achab et le Péquod. Lambeaux de mots qui soufflent, plaquent le corps au sable, ont un goût de granit et d'huître, de naufrage, de lanterne. Ils sont lunaires.

Deux héros pour moi dans ce récit autobiographique : le temps et Anna, la mémée de Klaoda.

* Anna donne de la force à ses phrases en les fabriquant à l'envers, à la mode bretonne. Un peu comme les maisons bretonnes qui tournent le dos à la mer. C'est le sémaphore, le parler du large qui voit au loin et au fond.

* le temps, libre de voguer sans aiguilles, pagaie la vie dans tous les sens, passé-présent-futur comme un éternel instant, un va-et-vient incessant, une tempête, une déferlante… le temps c'est la vie, la mer c'est la vie, le temps c'est l'amer, l'amour et la mer, le soleil et la lune, et Anna aussi.

L'écriture est un lien, parfois elle sombre. L'écriture devient blanche, sonde l'impossible, l'indicible. Ce sont les "jeûneurs fous", ceux de l'absolu, ils meurent d'écrire. Agnès Rouzier, Martine Vergne, Danielle Collobert… « L'écriture blanche est un suaire », « Écrire ne laisse plus vivre », « On entendit à peine se refermer sur ces anges la porte du tombeau ».

Mais pour Kaola, pour Claire Fourier a en elle la force de son aïeule. Elle veille au grain. Kaola « bascule du côté de mémée ».

Un roman d'artiste, Klaoda a le goût des peintres, des musiciens, des poètes. Armand Robin, Henri Pollès, Danielle Collobert, Maurice Blanchot, Debussy, Eugène Boudin…

Elle a le goût du jardinage, des mots ombrés, ceux qui soufflent dans leur silence toute leur présence. Elle marchande les mots, comme les habits à Keribin-Emmaüs, les meubles de guingois, pour trouver les plus salés, les plus beaux, patinés par l'histoire. Elle lance à la mer ses lignes d'encre, harponne les couleurs, les vagues, fait remonter le temps. Sa plume délie, démêle, sonde mais pas jusqu'aux abysses. Pas jusqu'à "l'abolition de toutes les frontières entre présence et absence". "J'écris pour dire ma stupeur devant ce qui est. J'écris gaiement, à l'extrême de mon chagrin".

Si vous voulez entrer dans cette bouteille à la mer où le temps s'enroule sans autre ponctuation que la libre inspiration, mettez trois pulls, plaquez-vous au sable. Quand le ciel de mots est immobile de bleu et dentelle la page, calez-vous alors au fond du rocher de Saint-Samson et respirez les images qui passent.

La couverture est magnifique. le petit personnage perché là-haut, sur le sémaphore, la maison, le rocher, la falaise, qui respire le ciel mêlé de d'océan. Nuages et vagues grignotent l'espace par petites touches de pinceaux. le personnage est minuscule, grisé, une femme. Elle respire le temps, la vie.

Une lecture qui se mérite, cent petits chapitres, cent petits bols d'air, parfois ardus, piquants, parfois plus fluides, toujours parlants. Une écriture "à bout portant".

Je remercie Babelio et les Éditions Locus Solus pour la découverte de l'auteure Claire Fourier et de son voyage époustouflant en mer d'Iroise, là où tout commence…
https://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/cest-la-ou-tout-commence




Commenter  J’apprécie          402

Après nous avoir offert « Je ne compte que les heures heureuses », Claire Fourier nous fait cette fois le cadeau « d'un bouquet d'heures », tour à tour « ensoleillées ou brumeuses ». le vent d'ouest y souffle, chassant « les tourments de l'âme ».

En exergue, Victor Hugo et Céline.

Claire Fourier, une Finistérienne, devenue une « cimmérienne »(1) met en scène plusieurs générations. Elle déroule la cartographie d'une géographie sentimentale, «  le grandiose paradis de son enfance ». Il y a ce rocher sémaphore « éperon pyramidal qui s'avance dans la mer d'Iroise, tel un belvédère, le village natal : Ploudal, la plage de Tréompan.
Elle oppose Paris « la ville plébéienne » à la « nature hors-la-loi, aristocratique ».

Une connivence est rapidement tissée avec le lecteur. Il ne subit pas de pression. Il est autorisé à faire une pause dans sa lecture pour observer un brin d'herbe, une coccinelle ou les couleurs du ciel. Elle le gratifie même « d'amant essentiel ».

Dès le chapitre d'ouverture, Klaoda, double de l'auteure, rend hommage à son aïeule, Anna, « la fée au chapeau de clarté », qui lui a transmis la passion de Moby Dick, mais aussi des soldes. Et de la mode. Elle en brosse un portrait attachant, très détaillé et restitue des bribes de leurs conversations.
Telle une biographe, Claire Fourier retrace la vie d'épouse de cette grand-mère adorée, mariée à Joseph, un « pompon rouge », qu'elle suit à Toulon mais pas en Indochine. Anna préfère le quitter pour revenir au village avec ses 3 poussins. Puis, elle évoque la période de veuvage de celle qu'elle nomme « sa baleine blanche » jusqu'à son décès. Cette « Mémée avait la sagesse pétillante ».

Elle « remue ses souvenirs » d'enfance, ses jeux avec ses frères dans ce décor maritime qui traverse plusieurs des romans de Claire Fourier.
Si « l'âme se sent vite à l'unisson d'un paysage aimé », le lecteur se sent aussi en communion avec celle qu'il lit et lui offre un tel « partage intime ».

Ainsi surgit le rocher « crevassé », léché par les vagues, lieu délaissé pour les ruines d'un château, quand la météo rendait ses parois glissantes.
On retrouve le mur de l'Atlantique, évoqué dans «  Les silences de la mer ».

La narratrice se revoit « chaussée de socques » sur le chemin de l'école. Elle se souvient des soirées avec ses frères, tous biberonnés aux légendes par leur père, ce qui faisait gronder Dolorosa, « l'épouse jalouse et courroucée »! Des séquences théâtralisées où la fratrie incarne Pallas, Diomède, Pandare…).
Elle se remémore des sorties culturelles, des virées découvertes au cours desquelles, le père, « expert en pharmacopée » contribue à enrichir son herbier, relate l'histoire des villes visitées pendant que la « Mère-Impatience » se fatigue de tous les arrêts !
Quant au retour vertigineux d'Avranches, la conduite du père, tel un « Zeus " en furie est si nerveuse que le lecteur est tout autant secoué que les occupants de la voiture ! On en ressort étourdi comme au sortir d'une centrifugeuse. Une cascade de verbes décuple cette sensation de « voltige », de « tourbillon » et d'angoisse pour les passagers qui craignent de se fracasser contre un rocher.

Claire Fourier ne manque pas d'imagination pour nommer ses personnages : Dolorosa, la mère, est tour à tour désignée comme Germaine-Eudoxie ,« Notre -Dame des Douleurs », « Ange-du-toujours-trop », «  Maman-va-de-l'avant »...
Une mère qui vient la hanter dans ses rêves.
Le père, Yves-Marie, apparaît comme « le remédien », pour les clients, un « héros aux yeux de lichen » pour sa fille, un bon samaritain pour un clochard qu'il prend en amitié, un « Père courage », bourreau de travail. A l'instar de son père, la narratrice fait preuve de charité chrétienne envers les SDF. de la mère, «  la recluse » dont elle évoque la déliquescence, elle a hérité « son chagrin pour les gens » et sa mélancolie. Une mère veuve trop jeune qui endossa les rôles de « Sisyphe et de Pénélope » et usa les nerfs de sa fille.

Quant à la plume de la narratrice, elle virevolte, « sans perdre le fil », remonte le temps. Ainsi elle revient sur la catastrophe de « L'Amoco-Cadiz » ( 16 mars 1978), salue le travail titanesque des « braves ». Un haïku traduit bien la colère :
« L'Amoco chez moi/ gît sur les grands fonds/ô souilleur d'hermines ! »

Tout aussi tragique, l'évocation de Mers-el-Kebir ( 3 juillet 1940) qui plongea le village natal dans le deuil, avec la perte de ses hommes engagés dans la Marine Nationale.

La narratrice se révèle une suzeraine des « petits riens somptueux ». (2)
Elle sait observer ce qui l'entoure, fait l'éloge de la bruyère et se revoit courant sur la lande avec ses frères, ce qui renvoie à la lecture des « Hauts de Hurlevent ». Elle peut s'émerveiller devant un vase rempli d'anémones violettes.

Elle évoque une amie disparue, faisant le triste constat qu'elle n'aura « jamais tenu une branche de romarin », qu'elle n'aura jamais vu les fleurs de son jardin, mais qu'elle aura été « prise à la gorge par l'actualité ».

La voyageuse se remémore, avec beaucoup d'émotion et d'humour, sa rencontre improbable avec le cinéaste Paradjanov à Tbilissi. On reconnaît la croisiériste de « Radieuse » qui aime fausser compagnie au groupe !

Si Dolorosa ( sa mère) ne lui a pas laissé des souvenirs impérissables de sa cuisine,( excepté les frites) elle lui a, par contre, inculqué le goût du cinéma du samedi soir, décuplé par « le plaisir béni de l'entracte : le sucre d'orge. »

On perçoit chez la narratrice (tout juste bachelière) la forte déception de constater l'absence de sa mère lors de la cérémonie des prix (aussi solennelle qu'un Prix Nobel), alors que le Prix d'Excellence lui revenait ! On devine que cette « indifférence de la bien-aimée » aura une incidence sur leurs futures relations !
Mais Dolorosa s'est toujours montrée avare de compliments envers ses enfants !


C'est au tour de l'épouse d'évoquer son couple, tributaire du métier de son mari. La voilà « comme l'oiseau sur la branche », à changer de logis une douzaine de fois, sa carrière de conservateur mise en stand- by pour suivre son époux, avec à charge leur deux « baleineaux ». Elle quitte ensuite le « quai des Indes » de Lorient pour s'installer dans le golfe du Morbihan où elle trouve son « château d'Argol » où elle fait son nid, écrit, lit et cultive un jardin extraordinaire où l'on peut faire un bouquet avec une « tulipe perroquet rouge et or », « une rose orangée, un arum, un souci ».

L'auteur revisite avec fougue une scène érotique de son roman Metro Ciel : « l'onde de marée nommée désir », « l'expérience extatique de l'éréthisme des corps ».


Le récit, constellé d'onomatopées : « pfft, bzz !, vzz !Toc ! Toc ! , vlouf!  Dring !», gagne en vivacité. S'y ajoutent des expressions latines (« in illo tempore ») et du breton, (« freuz ») en clin d'oeil à ses origines.

La romancière, « possédée de la mer », déroule le fil rouge de Moby Dick (son livre-culte), du capitaine Achab, recourt aux références mythologiques.
Les cent chapitres sont traversés par cette voix bien particulière de Claire Fourier, qui aime apostropher son lecteur, instaurer une complicité. Lecteur qu'elle a l'art de «  ficeler » ! Elle sait donner ENVIE :
-d'aller débusquer ce « rocher du sémaphore » pour se hisser dans le « fauteuil » creusé dans le granit et se croire à la proue du Péquot, devant un « paysage spirituel » dont « le pouls bat au rythme de la marée ».
-de peindre ou contempler le jardin d'Anna si coloré, de se prélasser sous la tonnelle fleurie de Kerebin
- de retrouver Klaoda, dans son jardin, munie de son sécateur, à l'automne, spectacle qu'elle dépeint de façon grandiose.
-et de se laisser enivrer par toutes les senteurs qui s'en exhalent.
-d'assister à une de ces aubes « où l'on croit que ciel et terre se sont étreints toute la nuit », « où la nature a l'odeur de l'amour ».
- de relever et partager les haïkus qui parsèment le récit.
« La vie m'est dérive / écrire en fait une rive/penchée sur hier »


Cent textes qui tissent une sorte d'autoportrait de Klaoda, dite « climatérique » qui apparaît aussi sous d'autres noms (Caudie, Mamoune, Maman) et donnent un aperçu de ses lectures, de ses goûts en peintures (Caspar David Friedrich, Jean-Pierre Alberola), en musique ( Debussy) et pour les hôtels des ventes.
Parmi ses figures tutélaires, on note Colette, Armand Robin, Rilke, Perros, Flaubert.

L'écrivaine, « Folliculine » pour son mari, distille à maintes reprises une réflexion sur la lecture, l'écriture : « sa patrie » et le Temps qui lui vaut du vague à l'âme, se voyant arrivée à un âge où on dit d'une femme qu'elle est « bien conservée » !
« Amoureuse de la solitude », elle décline un hymne aux livres qu'elle « emprunte pour laisser s'envoler le parfum d'une âme » et émaille ses pages de poésie. « Le poète est la démesure de l'amour et la respiration du monde », rappelle-t-elle.

Claire Fourier, conteuse, livre un livre d'heures d'une forte densité et d'une richesse inouïe qui prend la forme d'une « story », voire d'une saga familiale et de miscellanées « au hasard de ses humeurs ». Afin d'entendre l'épistolière bruire dans votre tête, il vous reste à suivre son invitation : « Lecteur, mets ton pas dans mon pas ». Ce vagabondage autobiographique offre une introduction idéale à l'univers de la « supersonique » écrivaine aux multiples publications.

(1) Cimmérienne : femme de rivage, les pieds sur terre, le regard en mer.
(2) Expression d'Albert Strickler.
Commenter  J’apprécie          252
En 100 chapitres plus ou moins courts Claire Fourier nous emmène sur les Terres du Finistère  et l'écume de la Mer d'Iroise  qui sont son ancrage originel.
Elle est de Ploudal - on ne dit pas Ploudalmézeau - dans le Nord Finistère  à  quelques encablures de la Mer d'Iroise, de l'Aber Benoît,  de Portsall  et surtout du rocher de Saint Samson.
" le coeur de mon Finistère est un rocher- un éperon pyramidal qui s'avance dans la Mer d'Iroise,  en bordure de la route qui longe la mer sur la Côte des Légendes,  entre Porspoder et Trémazan, dans la commune de Landunvez. Et le coeur du coeur, un nid de pie ; je veux dire : un léger creux dans le granit, au sommet du rocher."
" Tout ce que je suis vient du rocher de Saint Samson"
Pour Claire Fourier ce rocher fut un tremplin mental vers la mélancolie :
" le granit et le duvet d'écume m'ont appris à  aimer chez les êtres  la netteté de l'intellect et la brume du coeur "
C'est aussi " un paysage spirituel ". " Là-haut,  on est très haut ; Dieu ne regarde pas sa création de plus haut"
Sur ce rocher Claire Fourier est devenue une cimmérienne  : femme du rivage, les pieds sur terre, le regard en mer.
C'est en pensant être dans ce nid de pie qu'il faut lire les 100 chapitres du livre.
Le mot chapitre ne convient pas totalement.
Il s'agit plutôt au gré de la plume de Claire Fourier,  de lettres, de moments de poésie,  de contes , de souvenirs, de petites nouvelles.
Bien ancré dans le granit et le regard portant loin, elle nous distille les moments de sa vie entre la Mémé Anna, la sagesse même,  maître du temps, reine des fleurs,de la maison et sa mère  Dolorosa rétive aux émotions.
Cette Mémé Anna, tel le sémaphore en Mer d'Iroise illumine ce livre.
Et puis comme nous sommes ancré dans le Finistère,  à quelques encablures de Brest, le militaire n'est jamais loin. le pompon rouge de Joseph le père nous rappellera que ce Nord Bretagne est marqué par le fait militaire : les côtes bretonnes ne peuvent être dissociées du Mur de l'Atlantique , tout comme une vie de marin, d'une vie de bourlingueur.
Dans une écriture classique et ciselée, Claire Fourier va nous dire cette vie faite de bons moments naturels et de moment de séparation,  des souvenirs de l'enfance sur ces terres de bruyère et d'ajoncs.

.... Et l'écriture va nous entraîner sur des chemins plus difficiles,  plus caillouteux.
A de nombreuses reprises nous serons confrontés au Capitaine Achab, à  Moby Dick, à la baleine blanche.
Nous seront confrontés à  Mallarmé, Rilke, Melville et tout un cortège d'écrivain, de peintres, de musiciens.
La lecture se fait plus ardue.
Cela n'est pas grave.  La lecture des chapitres n'a pas pour obligation d'être linéaire.
Il faudra prendre le temps de se remémorer Moby Dick ou les Préludes de Debussy.
Le temps ?
Le personnage central.
Claire Fourier est obnubilée par le temps.
Peut on le perdre ? Doit on le perdre ?
Ces reflexions sont des moments de lecture jubilatoire.
" Un temps pour tout et articuler le temps, voilà ce qui est vivre"
" Il faut perdre son temps que lorsqu'on est sûr d'en gagner"
" Connais-toi toi- même  ; autrement dit : Connais le temps en toi "
Et si il est question de temps,  il est question de vie, de mort,
Cette mort qui est au centre de la vie des Celtes.

Enfin ce livre est un hymne à l'écriture, aux moments d'écriture
" La vie m'est dérive
Écrire en fait une rive
Penchée sur hier "
" le rideau est comme l'écriture  : le voile qui dévoile,  l'art du tamis"
Cet ouvrage à l'art du tamis. Les divers haïkus qui jalonnent le livre le confirme.
Les chapitres méritent d'être lus et relus.
Ce n'est pas toujours facile. Cela peut être ingrat parfois.
Mais la Terre du Finistère et la Mer d'Iroise sont elles faciles ?
Le granit est rugueux et la Mer d'Iroise est rarement calme.
Alors laissons le Sémaphore de la Mer d'Iroise nous illuminer de ces clairs-obscurs
Merci à la Masse Critique de Babelio et aux Éditions Locus Solus de m'avoir permis cette découverte
Commenter  J’apprécie          192
Semaphore en terre d'Iroise
Ca foisonne , bouillonne tour à tour de poésie, de références, de jeux de mots, de haïkus... j'accélère ma lecture, je ralentis au gré de mon plaisir et de mon envie, de ma compréhension aussi. Il y a de l'humour et de la profondeur. C'est personnel sans être intimiste: introspectif sûrement. Un ouvrage dans lequel l'auteur témoigne de son attachement à cette terre du Finistère, très précisément la côte landunvezienne. Ca tombe bien je connais aussi. le sémaphore de Landunvez, tremazan, la légende de Tanguy décapitant Haude, l'inévitable chapelle St-Samson, Ploudal, le Guiligui tout cela parle à mon coeur adoptif. Merci M. et Y. rencontrés sur la route touristique qui m'ont mis cet ouvrage entre les mains ! J'ai eu le sentiment -rare- de percevoir le plaisir d'écrire de l'auteur. Passée l'heureuse surprise, je dois en revanche avouer que j'ai abandonné page 259. Je me suis sentie de plus en plus perdue dans les pensées et circonvolutions de l'auteure. Mais je garde son ouvrage pour y revenir plus tard. Après avoir relu Moby dick et avoir fait plus ample connaissance avec le capitaine Achab, personnage référent tout au long de cette oeuvre.
Commenter  J’apprécie          90

Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
.
L'âme se sent vite à L'unisson d'un paysage aimé .
Allongée sur la dune mousseuse ,
je goûtai dans la brise salée et le tremblé de l'air
l'harmonie du monde ;
je sentais sous mon corps bruire la terre multicolore .
J'étais en phase avec l'ordre des choses .
L'heure passait , allongeait les ombres [...]
Le bleu du ciel se mâtinait de mauve accordé à la bruyère ,
et virait à l'orange .
Bientôt le monde se noyait dans un creusé d'or .
J'entrai éblouie dans le Temple de la beauté pure .
J'entrai dans l'universel .


P.42 ( dune de Saint-Samson , pays de Landunvez ,Finistère )
Commenter  J’apprécie          406
À peine moins mallarméenne que son chapeau, était la langue d'Anna d'où je n'ai cessé de voir "neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées".

Issue d'un breton riche en tournures pour dire les sentiments ainsi que les choses de la nature, c'était un français hybride : mon aïeule émanait sa conversation de mots bretons pour asséner des idées fortes car le français ne "parlait" pas assez. Mots comme des friandises à travers lesquels c'est la vie que l'on suçait. Mots qui ajoutent à la vitalité de qui les profère et les entend. Quand des trois quarts de nos tourments, Anna avait lancé en haussant les épaules :
- Des 'rimadellerezh' !
Cela suffisait, chacun sentait qu'il était indigne de s'attarder. Mémée avait écaillé la rouille sur le rafiot de nos soucis, décrassé le pont, purifié l'air, et l'atmosphère avait une gueule respirable. C'était son "Lève-toi et marche !" On répétait après elle 'rimadellerezh', et le tracas était bien un "rime à rien".

p.66
Commenter  J’apprécie          70
La musique de Debussy ne fait pas de bruit, seulement de la lumière. Sa fille, âgée d’une dizaine d’années, confiait à Marguerite Long : « Papa veut que je joue du piano, mais il ne veut pas que je fasse du bruit, je ne sais comment faire ! » Dans la lecture aussi les mots devraient se transmuer en lumière.

p.273
Commenter  J’apprécie          160
De Falaise ou de Sicile, les Normands chassent les baleines grises ; les Bretons poursuivent la Baleine Blanche. Les pêcheurs de l'île de Sein, partis cent trente, revenus vingt-neuf, ce n'est pas à l'appel du Dix-huit juin qu'ils ont répondu, c'est à celui de Moby Dick ! Dans la tourmente de la guerre, ils ont confondu le général de Gaulle et le capitaine Achab.

p.127
Commenter  J’apprécie          130
Le soleil figurait sur les armoiries des princes du Léon dans le Finistère Nord. Quand Louis XIV devint Roi-Soleil, le seigneur de Rohan, par déférence, substitua la lune au soleil dans son blason. Et le disque lunaire orna le faîte du château. Un jeune roturier s’éprit de la princesse.

— À moins de décrocher la lune, vous n’aurez la main de ma fille !

Une nuit, aidé d’un ramoneur, l’amoureux décrocha le disque symbolique. Le lendemain la princesse fut à lui. Et l’expression devint proverbiale.

p.176
Commenter  J’apprécie          90

Videos de Claire Fourier (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Claire Fourier
Claire Fourier - L'amour aussi s'arme d'acier, route coloniale 4 en Indochine .Claire Fourier - L'amour aussi s'arme d'acier, route coloniale 4 en Indochine aux éditions Dialogues. http://www.mollat.com/livres/fourier-claire-amour-aussi-arme-acier-route-coloniale-indochine-9782918135845.html Notes de Musique : "February (Mumblemix)" by Calendar Girl.
autres livres classés : finistèreVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (18) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

amoureux
positiviste
philosophique

20 questions
849 lecteurs ont répondu
Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..