Qui d'autre que moi lira un jour ces lettres?
Dans mon lit, au chaud, je me sens moins que rien, en pensant à mes amies les plus chères, arrachées à leurs foyers et tombées dans cet enfer. Je suis prise de peur à l'idée que ceux qui m'étaient si proches sont maintenant livrés aux mains des bourreaux les plus cruels du monde.
Pour la seule raison qu'ils sont juifs.
Pour tous ceux qui ont peur, qui sont solitaire ou malheureux, le meilleur remède est à coup sûr de sortir, d'aller quelque part où l'on sera entièrement seul, seul avec le ciel, la nature et Dieu. Car alors seulement et uniquement alors, on sent que tout est comme il doit être et que Dieu veut voir les Hommes heureux dans la nature simple, mais belle.
Je me demande sans cesse s'il n'aurait pas mieux valu pour nous que nous ne nous cachions pas, que nous soyons morts aujourd'hui pour ne pas avoir à supporter toute cette misère et surtout pour épargner les autres. Mais cette idée nous fait trembler, nous aimons encore la vie, nous n'avons pas encore oublié la voix de la nature, nous gardons encore espoir, espoir pour tout.
Je souffre et j'ai toujours souffert d'une sorte de mal moral ; c'est un peu comme si, ma tête était maintenue sous l'eau, je voyais les choses, non pas telles qu'elles sont, mais déformées par une optique subjective ;
Je ne reculerai devant aucune vérité, quelle qu'elle soit, car plus on tardera à la dire, plus elle sera dure à entendre.
Nous vivons tous, mais sans savoir pour quelle raison et dans quel but, nous aspirons tous au bonheur, notre vie à tous est différente et pourtant pareille.
A mon avis, un quart de la classe devrait redoubler, il y a de tels abrutis, mais les profs sont les gens les plus capricieux qui soient, peut-être que cette fois-ci, exceptionnellement, ils feront un caprice dans le bon sens.
Pour mes amies et moi, je ne me fais pas trop de soucis, nous nous en sortirons.
Il n’y a que les maths qui m’inquiètent un peu. Enfin, on verra bien. En attendant, on se serre les coudes.
On ne connaît vraiment les gens qu'après avoir eu une bonne dispute avec eux, alors seulement on peut juger de leur caractère !
Lorsqu'une personne du dehors entre chez nous, avec la fraîcheur du vent dans ses vêtements et le froid sur son visage, je voudrais cacher ma tête sous les couvertures pour faire taire cette pensée : "Quand nous sera-t-il donné de respirer l'air frais ?" Et parce que je ne peux me cacher la tête sous les couvertures, obligée, au contraire, de la tenir haute et droite, les pensées viennent et reviennent, innombrables. Crois-moi, après un an et demi de vie cloîtrée, il y a des moments où la coupe déborde. Quel que soit mon sens de la justice et de la reconnaissance, il ne m'est plus possible de refouler mes sentiments. Faire du vélo, aller danser, pouvoir siffler, regarder le monde, me sentir jeune et libre : j'ai soif et faim de tout ça et il me faut tout faire pour m'en cacher.